Que peut faire un proche démuni face à un membre de sa famille qui adhère à des théories conspirationnistes et les propage ? Depuis le début de la crise sanitaire en mars 2020, cette question se pose de plus en plus fréquemment dans les familles où les théories du complot font parfois d’énormes ravages.
Les proches doivent tout d’abord comprendre qu’il n’y a pas un profil type chez les personnes qui adhèrent à ces thèses. Le niveau d’éducation n’entre pas en ligne de compte. Par contre une fragilité occasionnelle peut favoriser le basculement.
Sandrine, dont la mère a basculé dans le complotisme voit deux facteurs qui auraient favorisé son adhésion aux théories conspirationnistes. D’une part sa conversion au protestantisme évangélique, dont la vision binaire opposant bien et mal a rendu sa mère plus « favorable à la réception de thèses surréalistes », et d’autre part son ignorance du fonctionnement des algorithmes de YouTube. Pour elle, le dialogue avec sa mère est quasi devenu impossible.
Pourtant explique Christiane Behaghel, conseillère conjugale, la première chose à faire est de dialoguer. Mais pour que l’échange soit fructueux, « il doit permettre de se livrer ». Les théories du complot affectent les personnes qui ont « besoin de donner du sens au chaos et au stress qui suintent dans toute la société ». Il revient aux proches de déterminer en discutant si l’adhésion de leur proche n’est pas « une échappatoire pour une personne qui ne veut pas parler d’elle. »
Si le complotisme devient trop envahissant, la conseillère préconise d’aborder des sujets plus consensuels en veillant à ne pas affubler l’autre de l’étiquette blessante de complotiste et d’éviter à tout prix que le dialogue ne tourne à l’affrontement.
C’est ce qu’essaie de faire Laurie avec son père qui a une « une vision houleuse des vaccins, et convaincu que l’école est un lieu de lavage des cerveaux ». Le dialogue avec lui étant devenu difficile. pour maintenir le lien, tous deux ont convenu d’éviter certains sujets. Mais elle est « peinée de le voir s’isoler dans une vision très négative des choses, source d’anxiété ».
La famille doit se montrer patiente et bienveillante explique Pascale Duval, porte-parole de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (Unadfi). « Un des membres peut être considéré « sous emprise » dès lors qu’il ne s’autorise pas à douter de ce à quoi il adhère » explique-t-elle. « Dans le peu d’espace laissé au doute, il faut en tout cas amener son proche à continuer à se poser des questions » ajoute-t-elle.
Pascale Duval souligne les similitudes entre l’adhésion à des théories du complot et l’appartenance à un groupe sectaire. Dans les deux cas, le processus psychologique est le même – « emprise par rapport à un groupe et radicalisation vis-à-vis d’une croyance » conduisant à une triple rupture : avec soi-même, avec l’entourage et avec la société.
Pascale Duval confie que l’Unadfi est de plus en plus sollicitée par des familles touchées par le complotisme. La majorité du temps l’alerte est donnée par le conjoint, mais il ne faut pas négliger les enfants et essayer de les préserver au mieux en leur expliquant que « lorsqu’un parent s’isole, ce n’est pas parce qu’il ne les aime plus, mais qu’il est obnubilé par son adhésion à une croyance ».
(Source : La Croix, 16.02.2021)