Révélations sur la base de données des agresseurs Témoins de Jéhovah

La base de données élaborée par la WatchtTower recensant tous les noms des agresseurs d’enfants connus dans leurs congrégations aurait pu rester un secret si Richard Ashe, n’avait révélé involontairement son existence, en 2014, lors d’un interrogatoire sur les cas d’abus sexuels. La déposition, première preuve de l’existence de la base de données, apparait dans The Witnesses, un documentaire en deux parties, diffusée le 7 et 8 février sur la chaîne américaine d’investigation Oxygen.

Compilant cinq années d’enquête menée par le journaliste Trey Bundy pour Reveal, ce reportage a aussi révélé que les Témoins de Jéhovah collectaient depuis 1997, auprès de ses congrégations, des données très précises sur les abus sexuels commis sur des enfants.

Lorsqu’un abus sexuel était porté à la connaissance des responsables de congrégation, ils devaient en rendre compte dans un rapport (envoyé dans une enveloppe bleue à la WatchTower) leur demandant de préciser « le type et la fréquence des abus, les informations personnelles sur l’auteur », des détails sur « la façon dont l’accusé et sa victime sont perçus dans leur congrégation » ainsi que le nombre de personnes informées des faits. Une copie du rapport portant la mention « ne pas détruire » était conservée dans chaque congrégation.

Cette minutie n’est guère étonnante de la part d’une organisation qui surveille tous les aspects de la vie de ses adeptes et les obligent à tenir les comptes de la littérature distribuée et du nombre d’heures de prédication. Le recueil de données personnelles lors du porte-à-porte, tels que le nom, l’adresse, la religion, leur a d’ailleurs valu une sanction de la Cour européenne de justice en 2018 qui leur a demandé d’obtenir le consentement des personnes visitées afin d’être en conformité avec la loi.

Selon Trey Bundy, journaliste de Reveals, tout est noté et archivé par l’organisation et en particulier les notes prises par les Anciens lors des comités judiciaires.

Mais cette obsession de l’archivage, si elle peut être un moyen de pression sur les adeptes, peut se révéler nuisible pour une organisation dont l’une des « valeurs fondamentales est la confidentialité. » Irwin Zalkin, un avocat fermement opposé au groupe, explique que « leur doctrine reposant sur la conviction que le monde extérieur a été contaminé par Satan », « ils n’ont aucun scrupule à mentir » aux personnes étrangères au groupe. Certains Témoins de Jéhovah surnomme cette doctrine la « guerre théocratique ».

Une guerre théocratique qui dicte depuis des décennies la politique de dissimulation des abus par le mouvement. Dans une note remontant à 1989, la WatchTower demande aux Anciens de garder confidentiels les rapports d’abus sexuels, interdit aux membres de coopérer avec les forces de l’ordre et explique comment les empêcher de fouiller leurs installations sans y être autorisé par le conseil d’administration. Une note de 1997 « insiste pour qu’aucune information sur la collecte de données ne soit partagée avec d’autres membres de la congrégation ou la police ». En 2014 une autre note concernant le traitement des actes répréhensibles, réaffirmait qu’une « stricte confidentialité devait être maintenue pour éviter toute intrusion inutile des autorités laïques ».

Le cas de Sarah Brooks illustre tristement cette politique. La jeune femme a subi les assauts répétés et conjugués de deux membres de sa congrégation, un homme pour lequel elle travaillait et une femme qui avait été désignée par la communauté pour les chaperonner. Les abus ont duré plusieurs mois jusqu’à ce qu’elle tombe malade et dénonce les faits. Elle fut convoquée par un comité judiciaire. Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Lorsqu’elle quitte la secte, elle décide de confondre ses agresseurs et les attaque en justice espérant pouvoir utiliser les notes qui ont été prises au court du comité judiciaire. La police a réclamé le dossier mais il s’est révélé insuffisant et l’affaire s’est conclue en arrangement entre les accusés et leur victime. Une fois l’accord conclu, Brooks a pu enfin lire les notes et a eu la désagréable surprise de découvrir qu’elles avaient été contrefaites, ne faisant plus que mention d’attouchements à travers les vêtements. Pire selon Martin Haugh, un ex Ancien qui avait supervisé une partie de son cas, elles avaient été détruites au moment où Brooks s’était rendue à la police.

L’obsession de l’archivage qui caractérise les Témoins e Jéhovah s’arrête aux limites de la protection de sa réputation. En 2012, une note demandait aux anciens de retirer et détruire toutes les lettres concernant « la maltraitance des enfants » du « dossier permanent de chaque congrégation ».

Cette politique laisse planer le doute quant à l’intégrité de la base de données réclamée déjà trois fois par la justice qui a essuyé trois refus de la WachtTower. Pour Zalkin, qu’une organisation soit plus préoccupée de sa réputation que par le souci des enfants est « la meilleure recette pour des abus sexuels endémiques ».

(Source : The Daily Beast, 09.02.2020)

 

 

  • Auteur : Unadfi