Le bureau du procureur général de Pennsylvanie aurait lancé au début de l’été 2019 une enquête du Grand jury1 visant à déterminer si les Témoins de Jéhovah ont omis à plusieurs reprises de signaler aux autorités des allégations d’abus sexuels sur enfants. C’est la première enquête de grande ampleur menée par un organisme américain chargé de l’application des lois.
Les enquêteurs se sont rendus dans plusieurs États pour rencontrer d’ex-adeptes victimes d’abus et des Anciens de Témoins de Jéhovah, et enregistrer les témoignages. D’après Jeffrey Fritz, un avocat de Philadelphie qui représente plusieurs autres ex adeptes victimes d’abus, le Grand Jury prend très au sérieux l’idée de poursuivre les dirigeants des Témoins de toutes les manières possibles, comme il l’a déjà fait avec l’Église catholique.»
Au moins trois témoins entendus par le Grand Jury ont déclaré que les enquêteurs voulaient interroger les membres du conseil d’administration de la WatchTower, au siège mondial du groupe situé à Tuxedo Park, (NY).
Depuis les années 1990, de nombreuses poursuites ont été intentées aux États-Unis accusant les Témoins de Jéhovah et leurs sociétés juridiques – y compris la Watch Tower Bible and Tract Society de Pennsylvanie et la Watchtower Bible and Tract Society de New York Inc. – de ne pas avoir signalé la maltraitance des enfants.
Dans plusieurs cas, les agresseurs ont été exclus par leur congrégation suite à un passage devant le comité judiciaire – sorte de tribunal interne – mais ils n’ont jamais été signalés aux autorités et plusieurs ont même été réintégrés par le groupe après repentance.
Mais les TJ se défendent. Récemment la cour suprême du Montana a statué en leur faveur dans une affaire où ils avaient d’abord été condamnés à verser 35 millions de dollars à une victime dont l’agression n’avait pas été signalée aux autorités. Finalement la cour suprême a décidé que la loi du Montana permettant de garder les confessions confidentielles était applicable aux Anciens.
L’enquête du Grand jury était restée confidentielle jusqu’à sa révélation au début du mois de février dans la presse. Depuis plusieurs témoins y ayant participé ont été interviewés sur leur histoire ainsi que sur la façon dont se déroule l’enquête qui s’applique à examiner la hiérarchie interne des Témoins, le système des Anciens et des surveillants.
Martin Haugh, un ancien qui a quitté le groupe, a confié que sa fille de quatre ans a été agressée par un Témoin de Jéhovah membre de sa famille en 2005. Son agresseur a finalement été arrêté en 2018. Il a également traité une partie du dossier concernant les abus dont Sarah Brooks a été victime. Après que cette dernière ait été voir la police, le siège des Témoins de Jéhovah lui a donné pour consigne de détruire le dossier de Brooks.
Mark O’Donnell, un ancien Témoin de Jéhovah appelé à témoigner devant le Grand Jury, a déclaré qu’il avait alerté un aîné l’année dernière du cas de trois enfants qui avaient été abusés sexuellement par leur père. Le service juridique du groupe a conseillé de ne rien signaler à la police et a demandé de détruire les notes manuscrites sur ce sujet. Bouleversé par ces décisions, O’Donnell a démissionné. La deuxième comparution d’O’Donnell devant le Grand Jury s’est concentrée sur les documents des témoins, dont certains remontent aux années 1980, qui montrent comment les dirigeants des Témoins ont demandé à leurs subordonnés de contrecarrer les enquêtes des forces de l’ordre et de ne pas divulguer d’informations sur les pédophiles suspectés aux congrégations sans méfiance. Il a passé des années à collecter et à publier des documents sur des cas de maltraitance que les Témoins n’ont jamais signalés à la police car il s’insurge que les Témoins de Jéhovah « mettent la loi de Dieu avant la loi de l’homme ».
Brain Chase a lui aussi été contacté par le Grand Jury. Dans les années 1980, alors qu’il était adolescent, il a été drogué et violé par un homme appartenant à sa congrégation. Quand il dénoncé son agression, au lieu de trouver du réconfort, il a été réprimandé par les Anciens, et a été expulsé par ses parents, qui pensaient à tort qu’il consommait de la drogue. Ostracisé par ses proches, et à la rue du jour au lendemain, il a été sans domicile fixe durant une période. Cette expérience l’a profondément traumatisé.
Le travail du Grand Jury est d’autant plus utile aux victimes que pendant des années, elles ont dû se reconstruire seule sans être reconnues. L’avènement des réseaux sociaux a été pour elles l’occasion de se réunir en communauté pour pouvoir échanger sur leurs expériences.
(Sources : USA Today, 08.02.2020 & The Inquirer, 14.02.2020)
1.Un Grand Jury est une institution au sein d’un tribunal qui a le pouvoir de mener une procédure officielle pour enquêter sur les actes criminels et déterminer si des accusations doivent être retenues. Le grand jury peut exiger la production de documents
et la comparution de témoins sous serment. ll n’y a ni juge ni avocat de la défense devant le grand jury, seulement le procureur qui présente ses preuves. Les preuves qui seraient illégales au procès sont recevables devant le grand jury, celui-ci ne se prononçant que sur l’inculpation sans prononcer aucune peine. Le procureur peut se servir du grand jury pour mener son enquête.