Ancien anthroposophe, Grégoire Perra raconte au journal Le Point son parcours au sein de l’Anthroposophie et les raisons qui le poussent aujourd’hui à mener sur internet1 une campagne d’information sur ce mouvement méconnu et pourtant très influent.
Les parents de Grégoire, en recherche d’une pédagogie différente, l’ont inscrit dans une école Steiner à l’âge de neuf ans. Il y a effectué toute sa scolarité jusqu’au baccalauréat. Après sa scolarité il est devenu professeur de philosophie au sein des écoles Waldorf. Il a écrit des articles pour les revues anthroposophes, jusqu’à ce qu’il quitte le mouvement en 2009, à l’âge de 37 ans et prenne conscience de ce qu’il analyse désormais comme un endoctrinement insidieux.
Ses premiers doutes sont venus à propos de prétendues vertus qu’apporterait la pratique de l’anthroposophie dont il n’a jamais pu constater la véracité. La méthode est censée rendre clairvoyant. En 28 ans passé dans le groupe, il n’a jamais rencontré un anthroposophe doté de ce don. Devenir enseignant en parallèle dans l’Éducation nationale lui a également permis de prendre conscience de ce qui n’était pas normal. En outre il a été fortement gêné par les tricheries lors des inspections académiques et la dissimulation de faits qui auraient pu entacher la réputation des écoles.
Pour lui, le but de la pédagogie de Steiner, « n’est pas d’enseigner, mais de sauver l’âme des enfants qui doivent rencontrer le Christ éthérique et ne pas finir dans la race des méchants ». L’influence de la doctrine anthroposophe est difficile à détecter pour un non spécialiste, la transmission se faisant sous forme d’allusions ou de rituels. Par exemple, l’idée que les animaux seraient nés de l’homme en se séparant de lui (théorie anthroposophe) est suggérée subtilement aux élèves par le biais des cours d’art plastique durant lesquels on peut leur faire sculpter un être humain vertical qu’on leur demande ensuite de courber pour le transformer en singe (le singe étant une dégénérescence de l’homme). La récitation plusieurs fois par jour de phrases qui semblent être des poésies mais sont en fait des « paroles » de Rudolf Steiner (sans que son nom soit mentionné) influence de façon insidieuse l’esprit des élèves.
Les menus des écoles Steiner sont conçus selon les principes anthroposophiques. Le lundi, jour de la lune il est recommandé de manger du riz, un aliment en rapport avec cet astre. Pour les autres jours, d’autres céréales sont préconisées. Le végétarisme est encouragé afin d’accroître les perceptions spirituelles.
Si les écoles Steiner sont pointées du doigt depuis plusieurs années comme foyers de nombreux cas de rougeole, c’est parce que, selon Steiner, les maladies permettraient « aux enfants de se libérer de leur hérédité pour que leur moi cosmique s’incarne mieux dans leur corps ». Ces théories sont tellement ancrées que, par le passé, des écoles organisaient des « fêtes » pour que les enfants atteints de rougeole puissent infecter les autres. Selon un responsable, du groupe cette pratique n’aurait plus court (même si elle se retrouve dans d’autres milieux anti-vaccination).
Grégoire Perra évoque aussi les fondements de la très en vogue agriculture biodynamique. L’étude de l’étymologie du nom en dit déjà long. Le mot a pour racine « bio », la vie et « dynamie, de « dynamis » qui désigne « dans la cosmogologie de Steiner une race de dieux du cosmos ». Hauts placés dans la hiérarchie divine, les dynamis « s’occupent des forces formatrices de l’univers ». Les pratiques misent en oeuvre dans l’agriculture biodynamique, telles que l’utilisation de corne de vache ou de vessie de cerf, sont en réalité des rituels visant à « relier la Terre aux dimensions cosmiques » pour « entrer en communion avec les dynamis » et apporter des forces vitales nécessaires aux cultures. Jean-Pierre Cambier, ancien anthroposophe et spécialiste de l’agriculture biodynamique, explique que les cornes de vaches seraient des sortes « d’antennes pour capter les forces cosmiques », tandis que la vessie de cerf représenterait le cosmos. Placées dans ces organes, les préparations destinées à être ensuite répandues dans les champs peuvent capter « les forces cosmiques ». L’agriculture biodynamique n’a pourtant pas un rendement supérieur à l’agriculture biologique classique et Grégoire Perra déplore que les consommateurs ne soient pas informés que les produits biodynamiques sont conçus à partir de « pratiques magico-religieuses ».
Mais pour G. Perra le dessein de l’Anthroposophie s’étend bien au-delà de l’école ou de l’agriculture. Il s’agit de fonder « une civilisation alternative complète ». Le projet politique de Steiner est basé sur ce qu’il appelle la tripartition qui repose sur les concepts révolutionnaires de liberté, égalité, fraternité, employés dans un sens différent : la liberté concerne les domaines culturels et éducatifs sur lesquels l’État n’intervient pas, l’égalité concerne le secteur du droit, et la fraternité le secteur économique où l’État n’a pas à intervenir dans les échanges entre consommateurs et producteurs. Le projet économique repose sur la Nouvelle Économie Fraternelle (NEF), une banque vue, par la majorité du public, uniquement sous l’angle éthique.
Il se questionne aussi sur les liens de l’Anthroposophie avec des personnalités connues et influentes, comme Pierre Rabhi, très proche du mouvement depuis les années 1980. Dans son livre édité en 1983, « Du Sahara aux Cévennes », il expose déjà sa pratique de l’agriculture biodynamique. Il cite aussi des liens avec Jean-Marie Pelt, Nancy Houston, l’ancienne ministre de la culture Françoise Nyssen qui a ouvert une école Waldorf, ou Edgar Morin qui est conseiller de la Fédération des Écoles Steiner.
Selon Grégoire Perra, le mouvement est en pleine expansion comme le montre l’exemple de Weleda dont les produits sont distribués dans de nombreuses pharmacies, ou celui du vin biodynamique que la presse encense fréquemment.
Le projet anthroposophique touche la société dans son ensemble mais aussi l’individu jusque dans son intimité. Donnant l’exemple de la sexualité, Grégoire Perra explique qu’il est « impératif d’avoir un entretien avec son partenaire avant et après l’acte ».
Grégoire Perra reproche aux anthroposophes de diffuser leur doctrine sans le dire ouvertement. Il s’est fait un devoir d’informer le grand public, mais n’attaque ni les croyances des adeptes, ni les institutions anthroposophes, il expose la doctrine ésotérico-magique.
En 2011, un article intitulé « L’endoctrinement des élèves à l’Anthroposophie dans les écoles Waldorf Steiner », dans lequel il avait détaillé tout cela, lui a valu un procès en diffamation aux côtés de l’Unadfi que les deux ont gagné en 2013.
(Source : Le Point, 30.04.2019)
Actuellement sous le coup de deux plaintes de l’Anthroposophie Grégoire Perra ne se laisse pas intimider malgré les frais liés à ces procédures. Une cagnotte lancée il y a quelques mois sur Okpal pour le soutenir a déjà recueillie 10 000 euros sur les 13 000 nécessaires à sa défense.
Lien de la cagnotte : https://www.okpal.com/soutenir-le-lanceur-d-alerte-gregoire-perra/#/