La généalogie, un facteur de la puissance mormone

Fin février 2020, Rootstech, le plus grand rassemblement mondial sur la généalogie, s’est tenu à Salt Lake City (Utah) rassemblant près de 25 000 visiteurs. Ce n’est pas un hasard si ce salon, dont le succès est grandissant1, est organisé dans la ville de Salt Lake qui abrite le siège mondial de l’Église de Jésus Christ des Saints des Derniers Jours, plus connue sous le nom de mormons ou LDS. En effet, l’Église est à l’origine de FamilySearch, le plus important portail de généalogie du monde, dont les données collectées à travers la planète sont indexées depuis près d’un siècle par les mormons. L’organisation à but non lucratif, a lancé son site de généalogie en 1999. A ce jour il donne accès à une banque de données contenant l’identité de huit milliards d’individus décédés.

En facilitant l’accès aux données généalogiques, l’application Family-Search a contribué à la démocratisation de la pratique. Aux États-Unis, cet intérêt a été amplifié par l’accès pour moins de 100 dollars à des tests ADN en vente libre. Les généalogistes y ont recours pour localiser géographiquement des personnes ayant un génome proche du leur. Le plus important fabricant américain de ces tests est la firme mormone Ancestry qui a vendu, à ce jour plus de 15 millions de tests. Plus que tous ses concurrents réunis.

Cet intérêt très fort pour la généalogie et la génétique n’est pas que financier, il trouve son origine dans la théologie mormone. A la fin de sa vie, Joseph Smith, fondateur et premier prophète de l’Église, a demandé « à ses fidèles de ne plus limiter les baptêmes aux vivants mais d’inclure aussi les proches décédés pour que les familles soient rassemblées pour l’éternité. » En 1893, une injonction à étendre cette tradition à toute l’humanité a été ajoutée si bien que, depuis lors, les mormons écument le globe pour recopier des registres. Ce travail leur a permis de gagner de nouveaux membres, en particulier hors du sol américain. Actuellement 300 d’entre eux photographient et envoient 1 millions d’images par jour qui sont ensuite indexées par 300 000 bénévoles. La culture du bénévolat est encouragée dès le plus jeune âge par la communauté. Les mormons américains y consacrent près de 35 heures chaque semaine. Cette main d’oeuvre gratuite leur a ouvert les portes de nombreuses archives, car non seulement le microfilmage est gratuit, mais les mormons offrent en plus la garantie d’une conservation de qualité en échange de l’accès aux registres d’état civil. Plus de 2,5 millions de bobines de microfilms et de disques durs sont stockés au coeur d’un bunker creusé dans une montagne située au sud de Salt Lake City.

Cependant l’opération coûte cher à l’Église : fonctionnement de FamilySearch, d’une bibliothèque d’histoire familiale à Salt Lake ainsi que 5200 centres d’histoire familiale dans le monde. Selon Gérald Caussé, évêque président en charge des finances de l’Église, la généalogie est « l’un des cinq principaux postes de dépenses aux budgets approximativement équivalents », sachant que le poste humanitaire représente un milliard de dollars…

Cependant l’Église ne manque pas d’argent et peut compter sur la dîme versée par les membres (10 % de leur revenu). Une plainte déposée en décembre laisse penser que le placement d’une partie des dons aurait rapporté 100 milliards de dollars nets d’impôt à l’église. Néanmoins le forcing des mormons n’est pas du goût de tous. L’Église catholique leur a interdit l’accès à ses registres afin d’éviter une conversion post mortem de ses membres, procédure dont la communauté juive s’était plainte
dans les années 19902.

Les données collectées par les mormons sont mises à profit pour bien d’autres applications, notamment dans le domaine médical où le croisement de données généalogiques et médicales a permis à des chercheurs de faire des découvertes sur les gênes responsables de certains cancers.

Peu regardant sur la conservation des données personnelles, l’État de l’Utah a créé en 1982 l’Utah Population Database qui croise les données du permis de conduire avec les dossiers de santé de 11 millions de personnes.

(Source : Les Echos, 14.03.2020)

1. Le succès grandissant de Rootstech lui a valu de tenir un salon à Londres en 2019.

2. Lorsqu’elle a découvert que les Mormons avaient entre autres baptisé Anne Franck.

 

 

  • Auteur : Unadfi