La communauté d’Olivier Manitara dans le viseur de sa municipalité

Olivier Martin, dit Manitara, autoproclamé « fils du soleil », dirige l’Ordre des Esséniens. Ce mouvement aux thèses apocalyptiques est installé sur un domaine d’environ 42 hectares, à Cookshire-Eaton(Canada). Ce groupe qui n’avait pas vraiment suscité l’inquiétude des autorités québecoises jusqu’ici, est poursuivi par la ville de Cookshire-Eaton pour non-paiement des taxes locales.

La ville de Cookshire-Eaton reproche à l’Ordre des Esséniens d’avoir déclaré 5 millions de dollars (3 548 000 €) de revenus en quatre ans mais de n’avoir payé aucune taxe foncière depuis son installation dans la ville. L’Ordre invoque l’exemption de taxes foncières pour tout immeuble utilisé à des fins religieuses, économisant ainsi des dizaines de milliers de dollars. Mais la ville a décidé de ne plus tolérer cet argument ; elle a fait savoir à l’Ordre qu’il lui devait 33 000 dollars (23 500 €) en taxes et autres frais municipaux. Les Esséniens avaient d’ailleurs
dit qu’ils n’utiliseraient plus le domaine pour des cérémonies religieuses, qu’ils avaient acheté une ancienne église à cet effet. Une source interne à la communauté a confié qu’Olivier Manitara profitait personnellement d’une déduction fiscale réservée aux membres du clergé.

L’inspectrice municipale chargée de contrôler l’étendue des biens fonciers du domaine affirme ne pas avoir été en mesure de le faire correctement. Pourtant accompagnée par la SQ (Sûreté du Québec), elle a essuyé de nombreux refus de coopération de la part de membres de la communauté. Elle a néanmoins pu constater la présence de nouveaux bâtiments construits sans permis. Le maire de Cookshire-Eaton, Noël Landry, est particulièrement indigné de constater que le groupe refuse tout net de payer ses impôts depuis 2007. En mai dernier,
une précédente visite avait mené à l’émission de 14 constats d’infraction en matière d’urbanisme.

 

Selon une déclaration fiscale, fournie par le groupe, les Esséniens sont « assis » sur des actifs d’une valeur de 3,5 millions $ (2,5 millions d’euros) dont 500 000 $ (35 500 €) en argent liquide. Ils possèdent leur propre maison d’édition, leurs magazines, leurs associations de thérapeutes. Ils proposent de nombreuses activités : cours d’ « Arcanas », « cercle d’entraide des anges », « Ordre des hiérogrammates », formations dont certaines sont obligatoires… Selon le CIC, Centre inter cantonal d’Information sur les croyances (organisme public suisse) l’initiation essénienne coûtait environ 8 200 euros en 2011.
Une partie des revenus du groupe provient de sa boutique en ligne : « mandala des anges » pour 18€, « baume des archanges » pour 15€ ou encore abonnement aux cours par correspondance d’Olivier Manitara pour 57€ par mois. Parallèlement, le journal La Presse a obtenu un document indiquant la mise en place d’un réseau de distributeurs pour les « an-gélisateurs ». Ces derniers toucheraient 15 à 30% sur leurs ventes, 5 à 10 % sur les ventes des « angélisateurs » qu’ils recrutent, etc. L’Ordre assure que ce système pyramidal n’a jamais été mis en place. Gérard, un français, ancien essénien, raconte avoir été « financièrement ruiné et moralement détruit » par l’Ordre. Durant les sept années passées dans la communauté, il estime avoir dépensé 20 000 euros.

La France considère l’Ordre des Esséniens d’Olivier Manitara comme un mouvement à caractère sectaire. Pour la Miviludes, « la vigilance à l’égard de ce groupe est motivée par l’utilisation de thématiques new age multiples », empreintes de références à des théories ufologiques et eschatologiques. Elle citait le leader essénien dans son rapport de 2011 : « L’heure du choix approche », « une nouvelle humanité va se lever ». Serge Blisko, président de la Mission, qualifie Olivier Manitara de « sinistre individu ». Il ajoute qu’il y a des similitudes entre l’Ordre des Esséniens et l’Ordre du Temple Solaire.

 

En 2011 et 2012, une journaliste française, Marina Ladous, a infiltré l’Ordre durant plusieurs mois. Elle aussi a vu des similitudes entre la communauté de Manitara et l’OTS. Elle précise que « c’est d’ailleurs deux anciens de l’OTS » qui lui ont conseillé de s’intéresser à eux. Les deux organisations ont également en commun « l’enfant sacré » (bien que les Esseniens le nient) et les cérémonies initiatiques en cercle avec de grands vêtements blancs. Dans le documentaire de Marina Ladous, diffusé sur Canal Plus, on apprend aussi qu’Olivier Manitara serait par ailleurs obsédé par Hitler, placé au même niveau que Jésus ou Bouddha, des hommes ayant « fécondé l’humanité ». La chaîne ayant diffusé le reportage est poursuivie par les Esséniens. L’avocat de l’Ordre est Jean-Marc Florand, également défenseur de Raël.


Issu d’une famille modeste, Olivier Manitara nait en 1964 en Normandie sous le nom d’Olivier Martin. Il a sa première expérience mystique entre 1983 et 1984 ; il voit apparaître un mystique bulgare mort en 1944. En 1992, il crée sa première communauté dans l’Aveyron, Terranova.
En 2000, la police française procède à huit interpellations dans la communauté Terranova. Lui et sa compagne, Magali Guérin, sont reconnus coupables d’abus de biens sociaux et sont condamnés à huit et dix mois de prison avec sursis, décision confirmée en appel.
En 2008, il quitte la France pour le Québec où il achète le domaine de Cookshire.
Son groupe, constitué de plusieurs dizaines de personnes, vénère des « archanges », des divinités égyptiennes et des figures du christianisme. Chaque dimanche, les adeptes vêtus de blanc reçoivent les « évangiles esséniens », textes transmis par des forces surnaturelles et signés de la main d’Olivier Manitara.
A l’arrivée du gourou français sur le sol québecois, le gouvernement fédéral avait tenté, en vain, de l’expulser du Canada au regard de sa condamnation de 2003. Un bras droit d’Olivier Manitara, Goulwen Marot, était aussi dans le collimateur des services de l’immigration canadienne ; il avait également été condamné, en France, en deuxième instance, pour voies de fait. Mais lui aussi a pu demeurer au Canada.


Voir l’enquête de Marina Ladous et Roméo Langlois, Les gourous de l’apocalypse sur nôtre site : https://www.unadfi.org/groupes-et-mouvances/les-gourous-de-l-apocalypse/

 

 

(Source : La Presse, 02, 03 et 04.10.2014 & 985fm.ca, 14 et
15.10.2014)