Et pourtant, il s’agit de la même organisation

La Dépêche, journal publié dans l’Eure, a consacré dans son édition du 18 mai un dossier de six pages aux Témoins de Jéhovah (TJ).

Le journaliste Patrick Auffret fait un tour d’horizon sur le mouvement après une visite du siège national du mouvement à Louviers. Il a donné la parole à Guy Canonici, le président de la fédération française, mais aussi à Serge Blisko, président de la Miviludes, Catherine Picard, présidente de l’Undafi, et Alexandre Cauchois, un ex Témoin de Jéhovah. Chacun portant un regard très différent sur le groupe.

Ce mouvement né aux États-Unis, en 1873, a installé son siège national à Louviers en 1973. Tenant des registres très précis, le mouvement revendique 13 millions de fidèles dans le monde, 250 000 en France, près de 400 à Louviers, dont 300 vivants au sein du Bethel (nom du centre national). Serge Blisko tempère ces chiffres, en constatant qu’il « semblerait qu’il y ait plus de fermetures que d’ouvertures de Salles du Royaume (lieur de culte des TJ). Néanmoins, l’État français parait bien démuni face à un mouvement qui semble ne pas faire de vagues mais dont pourtant les nombreux témoignages d’ex-adeptes donnent une image bien plus sombre.

Serge Blisko explique : « il existe en France une très grand liberté de croyance et de religion. Nous sommes là uniquement pour protéger les individus contre un certain nombre de dérives ». Même si croire en la fin du monde n’est pas interdit, il déplore le sort des enfants « qui se retrouvent en difficulté par rapport à toutes ces croyances car les plaisirs profanes leur sont interdits ». Leur rigorisme amène les adeptes jusqu’à refuser les transfusions sanguines, quitte à mettre leur vie en jeu. Le mouvement est souvent dénoncé par ses ex-adeptes pour son mutisme face aux problèmes de violence et d’abus sexuels. Ces affaires souvent réglées en interne pour préserver l’image du groupe, ont « conduit à plusieurs affaires de non-dénonciation de crime, notamment sexuels. » affirme Serge Bliko qui déplore cette situation.

La présidente de l’Unadfi, Catherine Picard, quant à elle, ne remet pas en cause les croyances des Témoins de Jéhovah, mais les règles de vie d’une communauté fermée dont les congrégations sont organisées selon des principes anti-démocratiques et soumises à une autorité théocratique qui donne ses instructions depuis son siège international américain. Elle renchérit : « être dans une communauté fermée qui ne reconnaît pas les droits de l’individu dans une société démocratique mais uniquement les droits divins fait inévitablement que les gens sont sous une espèce d’emprise qui les empêche de s’épanouir ».

Même si les TJ se défendent d’être au-dessus des lois, le groupe a pourtant ses tribunaux internes. Catherine Picard donne l’exemple d’un procès jugé aux assises de Pontoise (Val-d’Oise) au cours duquel, la justice a montré que la communauté avait dissimulé les faits reprochés à l’accusé.

Catherine Picard s’inquiète aussi des séquelles psychologiques laissées sur les personnes élevées au sein du groupe. « Tous disent devoir réapprendre à vivre tellement leur vie a été contrôlée à l’intérieur de la communauté. ». « Les jeunes adultes qui arrivent à sortir […] le payent très cher par une rupture totale et très violente avec les membres de leur famille. »ajoute-t-elle. Selon la présidente de l’Unadfi, les nombreuses affaires d’abus sexuels portées en justice en Australie, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, vont délier les langues « et l’on verra que le monde angélique a ses limites, celles d’un monde enfermé qui vit sous les contraintes du texte et où les gens n’ont pas la liberté absolue d’exercer leur responsabilité, ni leur esprit critique. »

Interrogé par le journaliste de La Dépêche, Guy Canonici, le président des fédérations françaises des Témoins de Jéhovah, répond aux accusations souvent portées contre le mouvement. Selon lui, les TJ ont une vie sociale développée et sont libres d’adhérer à d’autres associations. Le démarchage ne serait soumis à aucune obligation… ajoutant pourtant plus loin dans l’article qu’il faut « une sacré dose de conviction et de foi » pour faire du porte à porte ou aller sur les marchés. Pour les enfants nés au sein du groupe, personne ne les forcerait à devenir Témoins. L’engagement passerait par un long processus d’apprentissage (étudier la Bible, croire à tout ce que l’on y a lu) qui se conclut par le baptême. Sur la question de l’ostracisme pesant sur les membres quittant le groupe, il réplique en disant « quelqu’un qui veut quitter les TJ, qui s’en sépare, ne peut pas estimer que les TJ se détournent de lui. C’est lui qui les quitte, il ne peut trouver anormal qu’on le rejette »( voir sur le sujet «L’excommunication chez les Témoins de Jéhovah ».

Quant à l’existence d’une justice interne qui réglerait des affaires du ressort de la justice et dissimulerait des scandales susceptibles d’entacher la réputation du mouvement, il nie en prétendant que ce sont les racontars d’ex-adeptes nourrissant de l’amertume envers le mouvement. Il ajoute que les personnes coupables de faits graves sont incitées à se dénoncer à la justice.

Concernant l’aspect financier, il explique que les membres gardent leurs biens, mais peuvent léguer ou faire des offrandes anonymes au groupe, offrandes couvrant le prix des revues qui sont distribuées gratuitement ou les frais de fonctionnement du Béthel de Louviers. Selon lui « l’argent est bien géré, personne n’en tire profit, il n’y a pas de gourou qui roule en Rolls ».

Selon Alexandre Cauchois, un ex adepte interrogé par le journaliste, cela n’a pas toujours été le cas. En effet, Jospeh Rutherford s’était attribué les voitures de luxes et le bâtiment construit pour accueillir les prophètes dont le retour avait été annoncé aux adeptes en 1925. Au cours de son histoire, le mouvement a annoncé bien d’autres prophéties qui ne se sont jamais réalisées, mais ce qui a provoqué le départ d’Alexandre Cauchois, c’est la découverte de l’utilisation d’images subliminales dissimulées dans les illustrations des livres TJ. Et, contrairement à ce qu’affirme Guy Canonici, lorsqu’il a quitté le mouvement c’est bien sa famille qui lui tourné le dos et non l’inverse. Auteur de plusieurs livres sur les TJ, Alexandre Cauchois affirme que le groupe ne survivra pas au non renouvellement de ses membres et surtout aux nombreux scandales qui l’entachent (pédophilie, refus de transfusion).

Le Béthel de Louviers

Implanté depuis 1973 rue Sainte Hidevert, le Béthel comprend deux bâtiments, l’un consacré aux activités du groupe et l’autre servant de logement aux 300 permanents TJ affectés au Béthel. L’implantation du groupe ne s’est pas faite sans heurts, la gauche regroupée autour de Franck Martin, l’ancien maire de Louviers, s’était mobilisée pour empêcher le projet d’aboutir. S’il a été repoussé une fois, à court d’arguments juridiques la municipalité a dû finalement l’accepter.
Autrefois imprimerie pour toute l’Europe, le centre de Louviers a resserré ses activités autour de la diffusion de contenus sur internet, devenu pour le groupe un lieu privilégié pour l’évangélisation. Un studio d’enregistrement a été installé afin de traduire en français tous les enregistrements audios et vidéos produits par la maison mère de New York. Le siège possède également un service postal chargé de répondre aux demandes par mails et courrier. C’est aussi depuis le Béthel que sont gérés le site officiel du mouvement et l’administration de l’association.

Les autres activités du Béthel concernent l’entretien des bâtiments et l’intendance pour les 300 personnes travaillant bénévolement en échange du gîte et du couvert.

(Source : La Dépêche, 18.05.2018)

Aux États-Unis, les Témoins de Jéhovah doivent faire face à une mobilisation sans précédent des victimes qui dénoncent sur internet et dans la presse les ravages causés par la dissimulation institutionnalisée de la maltraitance et des abus sexuels commis par certains de leurs membres. Le groupe doit aussi faire face à de nombreuses affaires judiciaires, dont certaines lui ont valu des amendes colossales.

La fille de Martin et Jennifer Haugh n’avait que quatre ans en 2005 lorsqu’elle a été victime d’attouchements par un adolescent de la congrégation de Red Lion (Comté de York). Profitant d’un moment d’inattention de ses parents, il l’avait attirée dans un vestiaire de la Salle du Royaume. Lorsque ses parents de la fillette s’en sont ouverts aux Anciens ils ont reçu des menaces de sanctions s’ils ébruitaient l’affaire. Membre du groupe depuis cinq générations, la famille de Martin Haugh n’avait jamais été confrontée à la loi du silence imposée par les dirigeants pour dissuader toute plainte à la police.

Finalement les Haugh ont décidé de dénoncer les faits dont leur fille avait été victime et en 2016 ils ont quitté le mouvement. Depuis lors, famille et amis membres du mouvement, leur ont tourné le dos. Pourtant leur famille n’a pas été la seule victime d’abus. Ils auraient en effet connaissance de huit autres agresseurs d’enfants dans leur ancienne communauté qui ne comptait pourtant que 150 fidèles.

Cette loi du silence est institutionnalisée depuis longtemps. Un mémo de 1989, destiné aux Anciens leur demandait de ne pas coopérer « si la police se présentait dans leur Salle du Royaume avec un mandat de perquisition ». Une note de 1997, uniquement consacrée aux agresseurs d’enfants, donnait l’ordre aux Anciens de s’informer mutuellement des pédophiles de leur congrégation, mais de cacher l’information aux autres membres.

Barbara Anderson a une autre expérience du mouvement. Entrée dans le groupe en 1954, elle y a trouvé un réconfort à ses angoisses existentielles. Son mari étant un Ancien de haut rang, elle a été affectée à la rédaction du magazine Réveillez-vous au siège mondial de la Watchtower à Brooklyn. En 1991 la publication d’un article sur les violences subies par les enfants a eu un effet inattendu : des milliers de victimes ont écrit ou téléphoné au siège pour témoigner de leur vécu. C’est à cette occasion qu’elle a découvert les protocoles spécifiques pour faire face aux abus. Les anciens devaient envoyer l’information dans une enveloppe bleue au service juridique du siège à New York, tandis que les victimes, confrontées à leur bourreau, devaient produire deux témoins oculaires des abus subis pour être prises au sérieux. Pour Barbara Anderson, « par leur pratiques, ils protégeaient par inadvertance les pédophiles ». Elle et son mari furent exclus en 2002, après avoir tout dévoilé dans l’émission de NBS Dateline.

John Reeder a été aîné dans la congrégation de Bradley Beach (New Jersey). En 2000, lui et d’autres anciens ont dû traiter une affaire d’attouchement sur une jeune fille de douze ans. Tenus de dénoncer les faits, à la justice, le service juridique du mouvement leur a conseillé de le faire en passant un coup de fil anonyme depuis une cabine publique. Il a quitté le mouvement en 2004, lorsqu’on lui a demandé de rompre tout contact avec sa fille, exclue pour avoir eu des relations sexuelles avant le mariage.

Stéphanie Fessler est une autre victime de la politique de dissimulation des Témoins de Jéhovah. Agée de 13 ans, elle a été abusée à partir de 2003 par la mère de l’un de ses amis. Elle subira une trentaine d’agressions sexuelles. Lorsque ses parents ont rapporté les faits aux Anciens, ceux-ci les ont dissuadés de porter plainte et ont réprimandé publiquement la jeune fille. Stéphanie Fessler portera une plainte bien des années plus tard, sa plainte aboutira à l’arrestation de son agresseur.

La dissimulation était telle que les responsables de sa congrégation ont refusé de communiquer à la police tous les éléments qu’ils possédaient sur l’agresseur. Appliquant ainsi à la lettre le mémo de 1989. Finalement la coupable a reconnu les faits et l’affaire a été réglée par un arrangement financier avec la Watchtower. Cela n’est pas sans rappeler les affaires Lopez et Paldron qui ont connu, elles aussi un dénouement similaire.

Ces témoignages ont pour point commun de démontrer l’institutionnalisation de la dissimulation sur tout ce qui pourrait nuire à la réputation des Témoins de Jéhovah. Selon, Jeffrey Fritz, l’avocat de Stéphanie Fessler, « ils placent leur réputation dans la communauté bien au-dessus de la sécurité des enfants. »

Confrontés à de telles situations, Ii est très difficile pour les TJ de se rebeller. Totalement sous emprise, ils sont tenus par la peur d’être rejetés et ostracisés s’ils vont à l’encontre des directives des Anciens. Mais aussi peur de ne pas trouver le Salut après leur mort si le mouvement les rejette.

Au vu de tous les scandales qui entachent le mouvement, Marci Hamiltone, fondatrice de Child Usa, déplore que l’État américain n’ait pas lancé une enquête comme ce qui a été fait en Grande-Bretagne.

La Watchtower a été l’objet de procès retentissants qui lui ont valu de débourser des sommes colossales pour indemniser les victimes. Néanmoins, l’organisation est riche et pourra faire face aux procès à venir. D’autant plus que l’entretien des Salles du Royaume incombe aux fidèles, et que les Anciens et les membres permanents sont tous bénévoles.

Par ailleurs, entre 2013 et 2016, la Watchtower a réussi à vendre trois parcelles et son siège de Brooklyn, empochant ainsi plus de 1 milliard de dollars.

Le nouveau siège mondial se trouve maintenant à l’extérieur de New York dans un complexe ultra moderne dans le village de Tuxedo Park. Outre des bureaux, il abrite un musée et des centaines d’appartements destinés aux permanents consacrant 100 % de leur temps à l’organisation.

(Source : Philly.com, 25.04.2018)