Derrière la vitrine des Douze Tribus

La communauté des Douze Tribus (Tabitha’s Place) est une secte fondamentaliste chrétienne née dans le sud des États-Unis dans les années 1970. Derrière une proposition de vie communautaire conforme à la Bible, se cache une doctrine tendant au suprématisme et à l’homophobie. Depuis quelques années, la communauté des Douze Tribus s’attache à soigner son image et à masquer les points discutables de ses enseignements. Mais plusieurs ex-adeptes ont dévoilé l’envers du décor.


Sinasta Colucci a raconté ses désillusions dans un ouvrage intitulé Better Than a Turkish Prison: What I Learned from Life in a Religious Cult (Mieux qu’une prison turque : ce que j’ai appris de la vie dans une secte religieuse). Né en 1984 d’une mère « blanche hippie libre » et d’un père « noir » d’origine cherokee, il a grandi dans un quartier très conservateur de Redding (Californie) où sa couleur de peau a été plus d’une fois source de souffrances. Témoin, à l’âge de 10 ans, du mauvais traitement infligé à un amérindien, il a grandi avec l’angoisse d’être lui aussi maltraité parce qu’il était noir, avant de souffrir, à Détroit, d’être trop blanc.

C’est à 21 ans, dans le Missouri, qu’il rencontre la communauté des Douze Tribus dans laquelle il espère trouver un style de vie communautaire idéaliste sans aucun a priori racial.

Au fil des ans, il prend conscience des réalités de la secte à laquelle les adeptes vouent leur vie, travaillant dans la communauté et pour ses entreprises avec l’obligation de lui remettre tous leurs biens terrestres. Toute influence extérieure est proscrite et les membres sont surveillés jusque dans leur intimité. La maltraitance des enfants fait partie intégrante de la doctrine : l’enfant doit obéir à l’autorité et doit être physiquement châtié s’il ne s’y plie pas.
Les enseignements sur l’homosexualité sont clairs : « L’homosexualité est un crime capital », les homosexuels « doivent être mis à mort ».

Sinasta Colucci a également constaté la conception des races enseignée dans la secte, ce qu’ils appellent l’enseignement « Cham », qui trouve sa source dans l’histoire de Noé et de ses trois fils : Cham ayant manqué de respect à son père Noé, ses descendants furent condamnés à être esclaves des descendants de son frère Sem. Ils enseignent qu’être esclave des blancs est le seul moyen pour les noirs d’être vertueux. Les Douze tribus se sont donc inspirées de cette interprétation biblique à l’instar de groupes suprémacistes comme le Ku Klux Klan ou les sudistes du 19e siècle.

Justifiant l’esclavage, l’enseignement des Douze Tribus va jusqu’à attaquer Martin Luther King : « C’est horrible que quelqu’un se lève pour abolir l’esclavage. Quelle merveilleuse opportunité pour les noirs d’être amenés ici afin de devenir des esclaves ». Les Douze tribus précisent cependant que ces enseignements ne sont pas racistes et pour en convaincre l’opinion, ses responsables ont nommé comme porte-parole John Stringer, membre noir de la communauté. Stringer/Abraham (son nom dans les Douze Tribus) admet qu’il croit que l’esclavage n’est pas fini.

Formé par un métis comme lui, Sinasta Colucci a fini par intégrer que « quelque chose fait que les noirs sont maudits et que leur seul espoir est de se soumettre aux blancs », acceptant qu’il y avait certainement une part de « vrai ». C’est l’époque où il fut envoyé dans la communauté des Douze Tribus de Hiddenite (Caroline du Nord) où vivaient nombre de dirigeants connus de la secte comme Yoneq, le fondateur (de son vrai nom Elbert Eugene Spriggs) et Stringer/Abraham.

Lorsque Colucci vit ce dernier pour la première fois, « C’était comme rencontrer un héros. (…) Voici ce puissant homme noir qui va attirer plus de noirs, car nous avons besoin de plus de diversité. » Jusqu’à ce qu’il l’entende faire l’éloge de Nathan Bedford Forrest et des premiers membres du Ku Klux Klan : « Il était comme un suprémaciste blanc noir ». Colucci a fini par quitter les Douze Tribus en 2012.

David Pike, membre des Douze Tribus de 1997 à 2004, a également été heurté par certains de leurs enseignements. Il a reconnu avoir assisté impuissant au châtiment d’enfants : « J’ai vu des enfants se faire flageller jusqu’au sang. »

Jenny Lynn Fiore, membre des Douze Tribus au début des années 2000, s’est opposée au racisme et à la discipline autoritaire imposée aux enfants et aux mauvais traitements des femmes : « J’ai vu des maris dominateurs traiter mal leurs femmes sans qu’elles puissent trouver la moindre aide ».

Il paraît incroyable que des personnes comme ces ex-adeptes aient pu adhérer aux enseignements révoltants des Douze Tribus. L’endoctrinement modifie la façon de voir la réalité, la secte exerce un contrôle sur les émotions : « Vous vous sentez coupable de choses qui ne devraient pas vous culpabiliser, et non coupables de choses pour lesquelles vous devriez culpabiliser ». Il en est de même pour le sentiment de peur.

Evoquant son départ de la secte, avec sa femme, Colucci écrit : « Nous étions des immigrants. Nous quittions une nation – la nation les Douze tribus – une nation dans laquelle les femmes doivent être soumises aux hommes, les noirs et les blancs ne sont pas égaux, l’homosexualité est un péché dont les gays doivent se repentir, où les croyances et les opinions différentes ne sont pas admises, où les activités quotidiennes sont strictement dictées, pour entrer dans ce qui est sans doute la nation la plus libre de la planète ».

(Source : Southern Poverty Law Center, août 2018)