Les « marchands de bonheur »

Le développement personnel, notion attrape-tout, regroupe un ensemble de pratiques aux frontières floues, plus ou moins inspirées du New Age, des psychothérapies comportementales ou des médecines traditionnelles. Présent dans l’entreprise ou dans le cercle privé, il offre autant de techniques que de raisons de se sentir mal dans sa peau ou dans son métier. Méditation, rebirth, programmation neuro-linguisitique, reiki, Emotional freedom techniques (EFT)… toutes ces méthodes auraient, selon leurs promoteurs, réponse à tout. Ces pratiques peuvent attirer nombre de charlatans.

 
Le développement personnel est né en Californie dans les années 1960 et a fait son entrée en France, dans nos vies privées et professionnelles, dans les années 2000. Il est issu du mouvement hippie mais aussi de la « nouvelle économie et de ses valeurs libérales et individualistes. Roland Gori[1], professeur de psychologie, le souligne : « c’est un champ qui a émergé au sein d’une culture très libérale où l’individu est ‘’manager’’ de lui-même. Aujourd’hui, l’individu se pense comme une entreprise libérale. Il fait donc appel à des contrôleurs de gestion de l’intime ».
Sur les 2 500 signalements reçus à la Miviludes, 20% concernent le secteur du développement personnel. Pour Serge Blisko, son président, « les objectifs même du développement personnel ne sont pas clairs ». Par exemple, dans le cas de la formation professionnelle, on se demande si l’objectif est « de faire augmenter le chiffre d’affaires, de permettre l’adaptation au poste de travail ou de permettre au salarié de se sentir mieux ».
Le coaching s’inscrit également dans la notion de développement personnel. Dans le marché de l’entreprise, on comptait 1 500 coachs en 2010, on en recenserait 6 000 cette année. « Ce métier se développe sur des problématiques où les psychothérapeutes ne sont pas » explique Serge Blisko.

 
Dans l’entreprise, les formations en développement personnel ne s’adressaient à l’origine qu’aux cadres dirigeants. Elles concernent aujourd’hui tous les échelons d’encadrement. Elles sont proposées dans les grands groupes, les petites et moyennes entreprises mais aussi dans les administrations publiques.
En 2011, 14% des stagiaires de la formation professionnelle suivaient un cursus en développement personnel, prestations facturées plusieurs milliers d’euros aux entreprises.
Serge Blisko pointe une difficulté qui est celle du signalement. En effet, l’expérience montre que lorsqu’un salarié est confronté à un stage déviant, il ne le signalera pas. Dans les rares cas où il le fait, il s’adressera au responsable des ressources humaines qui ne se vantera pas d’avoir envoyé ses employés dans un organisme de formation potentiellement sectaire.
Depuis peu, la direction de l’emploi et la formation professionnelle ou les organismes collecteurs agréés sont en mesure de contrôler, d’écrémer ce marché.

 
Cette vigilance n’est pas encore possible dans le secteur du développement personnel à destination des particuliers où les prestations englobent également le vaste marché du « bien-être », en constante progression. Selon l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques), il afficherait un chiffre d’affaires de 37,5 milliards d’euros en 2012.
Le coaching proposé aux particuliers se décline sous différentes formes se démultipliant à volonté ; il existe autant de spécialités que de types de problème : amour, argent, scolaire ou spiritualité. Roland Gori souligne qu’avant « pour un problème de poids, on allait plus naturellement voir un nutritionniste (…). Aujourd’hui, on va voir un coach alimentaire ». Aller voir un coach fait peut-être plus chic mais coûte indéniablement plus cher. Une heure de coaching sportif est facturée 50€ à 120€ de l’heure alors qu’un entraînement sportif dans une salle de sport associative coûte beaucoup moins. Les coachs financiers facturent leurs truismes à prix d’or alors que les solutions peuvent être apportées par des professionnels, diplômés d’État, les conseillers en économie sociale et familiale (CESF).

 
De manière générale, le coach ou autre prestataire en développement personnel va utiliser des termes dans lesquels tout un chacun peut se retrouver et des techniques qui ne sont pas scientifiquement éprouvées. Un coaching mal mené peut être destructeur ; il peut faire ressortir des faiblesses que la personne n’est ensuite pas en mesure de surmonter. Dans ce marché tapageur, même s’il est difficile de résister « aux sirènes du marketing », il faut toujours avoir en tête qu’il existe de vrais professionnels aux tarifs souvent beaucoup moins exorbitants. Il faut se méfier de ceux qui « promettent le bonheur ‘’à tout prix’’ ou plutôt ‘’hors de prix’’ ».

(Source : Que Choisir, n°136, Octobre 2014)

 


[1] Roland Gori est co-auteur avec Pierre Le Coz de L’Empire des coachs, publié chez Albin Michel en 2006.