Une violence institutionnalisée

Derrière leurs chants, leurs danses et l’odeur alléchante des biscuits qu’ils confectionnent, les membres des Douze Tribus réservent à leurs enfants un sort inacceptable, au nom d’une doctrine intolérante. Tessa n’est restée que deux ans au sein de la communauté et pourtant elle en garde des traces indélébiles.


Tessa Klein n’avait que quatre ans lorsqu’elle a rejoint la secte mais elle a immédiatement pris conscience que jouer avec une poupée ou « faire l’avion » pouvait avoir comme conséquences six coups de fouet sur la main ou sur le derrière dénudé. Jouer avec les autres enfants – même ses frères et soeurs – sans supervision d’un adulte était tout aussi interdit. Son frère de deux ans, qui n’avait pas encore intégré les règles était battu quotidiennement. Les châtiments corporels commencent dès l’âge de 6 mois : si un bébé se débat au moment du changement de sa couche, il est puni.

Les membres des Douze Tribus affirment qu’ils aiment leurs enfants mais Tessa n’a aucun souvenir de gestes d’affection. Ils considèrent par contre que les battre est une expression d’amour.

La petite fille vivait constamment dans la peur, elle devint anormalement silencieuse. Elle se contentait d’observer les femmes de la communauté vaquer à leurs occupations, en prenant soin de ne pas les importuner.

Le père de Tessa, Matthew, ancien professeur de lycée a mis deux ans pour réaliser son erreur. Dans un premier temps, il a apprécié sa nouvelle vie. Finies les conceptions matérialistes, il éprouvait même une certaine fierté à s’être séparé de tous ses biens. Comme la plupart des nouveaux membres de la communauté, il a vendu sa maison et sa voiture et reversé les bénéfices à la secte.

Il en garde finalement un effroyable souvenir : « C’est comme une relation abusive », explique-t-il. « Vous ne tombez pas amoureux d’un agresseur, vous tombez amoureux d’une personne merveilleuse. L’abus se produit dans le temps et la personne a toujours de bonnes excuses ».

Matthiew estime que c’est la violence psychologique qui est la plus destructrice. Les enfants ont une image déplorable d’eux-mêmes car ils sont constamment punis. Ils grandissent également avec la peur du monde extérieur. De plus, lorsque les enfants étaient malades, ils étaient traités par homéopathie si bien qu’ils n’étaient jamais examinés par un médecin. « J’aimerais que la communauté des Douze Tribus soit fermée, déclare-t-il. « Je veux qu’elle soit considérée comme responsable de la destruction de la vie des enfants. » Il a fait un signalement aux autorités qui n’a pas été suivi d’effet.

Matthew culpabilise encore : « Je savais qu’ils frappaient les enfants. J’aurais dû partir alors. Mais je ne savais pas que c’était à ce point ».

« Quand vous intégrez la communauté, vous quittez la société pour entrer dans une autre, avec de nouvelles règles » explique-t-il. Matthew qui avait une formation scientifique reconnait avoir perdu tout sens critique et toute capacité à rationaliser.

L’enseignement supérieur est considéré comme une perte de temps. Les enfants sont de toute façon totalement démotivés. Des corvées prioritaires s’ajoutent à leur travail scolaire des corvées. Selon le mouvement, travailler aux côtés de leurs parents au lieu de jouer ou d’étudier garantit aux enfants « un environnement sûr, sain et éducatif. Leur laisser du temps pour des distractions ne peut conduire qu’à de mauvais comportements. ». Matthew a dénoncé le travail illégal des enfants, mais là encore aucune mesure n’a été prise.

La police australienne sait ce qui se passe au sein de la communauté mais n’intervient pas au motif de la liberté de religion.

Pour Beverley Thirkell, psychologue pour enfants à Sydney, la situation des enfants de la communauté de Tabitha’s Place est une préoccupation: « Ces enfants sont éduqués et contrôlés par la peur. Leur seul moyen d’avoir une relation sécurisée est de suivre des règles strictes. S’ils ne les appliquent pas, ils sont battus. Et c’est un manuel qui dicte la façon de créer ce trouble de l’attachement. C’est effrayant », s’exclame-t-elle.

Ces deux années ont bouleversé la vie de Tessa. Aujourd’hui encore elle souffre des blessures psychologiques infligées par la secte. A l’école, elle a rencontré des difficultés pour se faire des amis, déconcertée par l’insouciance des autres enfants. Sa mère, qui est restée dans la communauté s’est remariée et a eu deux autres enfant et a rejeté toutes les tentatives de rapprochement de sa fille.

Récemment, la jeune fille s’est retrouvée face à un stand de gâteaux des Douze Tribus installé aux abords de son université. Des membres l’ayant reconnue ont refusé de lui parler. Submergée par une immense colère, elle a tenté de les chasser en renversant tout. : « Leurs intentions sont cachées et je veux que les gens sachent ce qui se passe à deux pas de chez eux » a-t-elle dit pour expliquer son geste.

Elle se demande aujourd’hui comment aurait été sa vie si elle était restée dans les Douze Tribus. La contraception étant interdite, elle aurait sans doute eu de nombreux enfants qui auraient renforcé les effectifs de la secte et seraient devenus des adeptes obéissants.

(Source : Now To Love, 18.10.2018)

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