Une enquête semée d’embûches

Le mouvement #MeToo relancé en 2017 pour dénoncer le harcèlement sexuel dont les femmes sont victimes, notamment dans les milieux artistique, politique et entrepreneurial a amené le média américain BuzzFeed à s’interroger sur le secteur du coaching de vie. Le journal a enquêté sur Tony Robbins considéré par beaucoup comme un pionnier du développement personnel. S’appuyant sur des enregistrements, des documents internes, et des témoignages, BuzzFeed révèle comment Tony Robbins a réprimandé des victimes de violences et d’abus sexuels, soumis ses élèves à des techniques potentiellement dangereuses et aurait fait des avances sexuelles à des stagiaires et à des membres de son personnel.

Depuis près de 40 ans, le succès de Tony Robbins ne se dément pas et ce sont près de 50 millions de personnes, dont 4 millions en direct, qui auraient eu recourt à ses outils de développement personnel. Dirigeant du Robbins Research International Inc., il est à la tête d’un empire financier de plusieurs milliards de dollars. Il se vante d’avoir côtoyé des célébrités telles que Bill Clinton, Donald Trump, Oprah Winfrey et aidé des personnes souffrant de graves problèmes : victimes d’abus sexuels, personnes souffrant de dépendance ou de maladie mentale…

Mais ce succès n’est pas seulement dû à sa méthode. Tony Robbins a su protéger son empire en verrouillant la communication. En effet, ses employés doivent signer un accord de confidentialité avant d’être embauchés et les participant de ses séminaires doivent ratifier un contrat leur interdisant d’enregistrer. Mais il s’est surtout adjoint les services du cabinet d’avocats des stars d’Hollywood, Lavely et Singer, qui protège ses intérêts depuis 2007. Déjà à cette époque, le cabinet s’était illustré en attaquant un site anonyme qui dénonçait les agissements de Tony Robbins. Rapidement mis hors de nuire, le nom de domaine avait été repris par le cabinet d’avocat. Au printemps 2018, Robbins a fait face à une pluie de critiques après qu’une vidéo postée sur internet le montre expliquant que le mouvement #MeToo « est une excuse pour certaines femmes pour se donner de l’importance en détruisant quelqu’un d’autre ». Bien qu’il se soit publiquement excusé, en coulisse son cabinet d’avocat a envoyé une lettre de menace à la femme qui avait publié la vidéo, l’avertissant qu’elle violait l’accord de non divulgation qu’elle avait signée.

Le cabinet est allé plus loin encore. Lorsqu’il a été informé des investigations menées par BuzzFeed, il lancé une contre-enquête dans le but de pousser les témoins à retirer leur récit du journal sous peine de poursuites pénales qui pourraient leur coûter des millions de dollars. Les avocats ont également prévenu BuzzFeed qu’il s’exposait à une action en justice qui « aurait un impact dévastateur sur la situation du journal et de ses investisseurs ».

Craignant des représailles, la plupart des témoins ont souhaité rester anonymes.

En ce qui concerne les faits de harcèlement et d’attouchements sexuels, les actes recensés dans l’article se sont produits dans les années 1990 et au début des années 2000. Les témoignages et des enregistrements montrent comment Tony Robbins a créé un environnement fortement sexualisé.

Des ex employés racontent que certains événements comme les séminaires Date With Destiny (DWD) sont très durs. Se déroulant sur plusieurs jours, ils ont souvent lieu dans des salles peu chauffées, commencent très tôt le matin pour se finir tard le soir et les pauses sont peu nombreuses. Des courriels internes révèlent que soumis à ce rythme effréné durant plusieurs jours, certains participants souffrant de déshydratation, de privation de sommeil et d’épuisement émotionnel développaient des troubles psychiques. Après 20 ans dans la société, Gary King, ancien directeur de la sécurité, a fini par démissionner, car il ne supportait plus que les « dommages collatéraux émotionnels et physiques » ne soient pas suffisamment pris au sérieux. Tony Robbins oblige ses adeptes à affronter leurs peurs en les soumettant à une thérapie choc. Il utilise un langage tabou, humoristique, humiliant afin de les « secouer de leur stagnation émotionnelle ». Des enregistrements montrent l’extrême violence de ses propos, notamment envers une femme victime de viol et une autre victime de violences conjugales. Pour Ruth Glenn, présidente de « la Coalition nationale contre la violence domestique », la stratégie de Robbins est dangereuse car les femmes « ne subissent pas seulement un traumatisme secondaire, mais une agression secondaire ». Gary King se rappelle le cas d’une participante qui avait dû être hospitalisée après avoir eu des hallucinations et a souffert de dépression pendant de longs mois.

Alors que les professionnels de la santé mentale suivent une formation poussée et sont soumis à un code déontologique qui encadre leur pratique et protège leurs patients, le coaching de vie n’est pas soumis à de telles exigences et son manque d’encadrement est dangereux. Proposant des réponses aux questions les plus douloureuses d’un public en recherche de bien-être, certains coaches, érigés au rang de figures divines, abusent de leur pouvoir.

Tony Robbins n’a pas de qualification. D’une famille pauvre et violente, il a trouvé sa voie à l’âge de 17 ans, après avoir assisté à une conférence de Jim Rohn, un « spécialiste » de la motivation. Ayant surmonté ses difficultés en abandonnant son statut de victime, il a décidé d’apprendre aux autres comment faire pour « libérer leur pouvoir intérieur ». Son rapide succès a encore grandi lorsqu’il a mis au défi un psychiatre de soigner sa patiente plus rapidement que lui, ou lorsqu’il a marché sur des charbons ardents pour démontrer le pouvoir de la pensée positive. Cette pratique a été intégrée à son séminaire phare DWD. Un ancien bénévole en charge des questions médicales rappelle qu’en 2012 des dizaines de participants s’étaient brûlés au second degré en marchant sur des braises1.

Très demandé dans tous les États-Unis, il a rassemblé une armée de bénévoles qui travaillaient de 12 à 18 heures par jour contre l’opportunité d’assister gratuitement à ses conférences. En 2018, attaqué en recours collectif pour toutes ces heures non rémunérées, sa société a conclu un accord confidentiel pour résoudre le conflit.

Le charisme de Tony Robbins est si important que même ayant été harcelés des employés ont souffert d’avoir été licenciés ou d’avoir dû partir. L’une des femmes harcelées sexuellement raconte que son licenciement lui avait donné « l’impression d’être exclue d’une religion ».

Depuis que Tony Robbins est informé de l’enquête du journal, ses avocats ont renforcé sa protection juridique. Désormais l’accord de confidentialité signé par les employés exige non seulement leur silence, mais également la promesse d’empêcher leurs collègues de divulguer des informations confidentielles, sous peine d’avoir à verser jusqu’à 100 000 dollars de dommages et intérêts.

Bien qu’un communiqué de Tony Robbins ait contredit les propos de BuzzFeed, le média maintient sa version des faits.

(Source : Buzz Feed, 17.05.2019)

1. Lire sur le site de l’Unadfi, Robbins Research International : https://www.unadfi.org/domaines-dinfiltration/sante-et-bien-etre/psychotherapie-et-developpement-personnel/robbins-research-international