Les mormons sous toutes les coutures

Communauté discrète, l’église de Jésus-Christ des Saints des derniers jours est connue pour son intérêt pour la généalogie et ses jeunes missionnaires. Le journaliste Hubert Prolongeau a souhaité en savoir plus.

La rapidité avec laquelle il a obtenu son premier rendez-vous démontre le caractère prosélyte du groupe. Quinze minutes après avoir fait une demande en ligne, un rendez-vous était fixé. Invité dans la paroisse de la rue de Romainville (Paris 19e), il est accueilli par des adeptes en costume cravate, dans une pièce « décorée de tableaux très kitsch ». L’entretien dure 30 minutes et commence par une prière. Le journaliste est ensuite invité à visionner une vidéo et à écouter la lecture de quelques versets du Livre d’Amos1. Enfin, ses interlocuteurs lui soumettent un questionnaire sur ses précédentes expériences spirituelles. A l’issue de ce premier rendez-vous, il repart avec le Livre de Mormon et une invitation à l’office du dimanche « la cérémonie de la sainte cène ».

Dans le plus grand lieu de culte mormon de la capitale, un hôtel particulier situé rue Saint-Merri (Paris 4e), la cérémonie se déroule chaque dimanche matin. Les paroissiens élégamment habillés, costume ou robe dissimulant les « garments » (sous-vêtements spéciaux et « décents »), se réunissent dans une salle sans croix sur ses murs car « Dieu est vivant ». Aucun sermon n’est prononcé durant le culte. Des fidèles témoignent chacun à leur tour de leur expérience spirituelle. Morceaux de pain de mie et verres d’eau sont distribués ; le vin est interdit. La célébration finie, les plus jeunes poursuivent la journée par deux heures de catéchisme.

Mais l’engagement spirituel des mormons ne s’arrête pas aux offices hebdomadaires. Interrogée par le journaliste, une famille mormone témoigne de son investissement dans la foi, qui se manifeste quotidiennement par la lecture des Écritures, par « l’obéissance aux commandements toute la journée », par des réunions où chacun « demande pardon pour ce qu’il a fait de mal dans la journée ». Entièrement acquise à la cause de l’Église, la mère de famille a aussi une activité missionnaire : elle a créé une association d’aide aux chômeurs et écrit son autobiographie pour proclamer les bienfaits de la foi mormone.

Si la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) affirme « qu’aucun témoignage n’a mis en évidence une dérive de nature sectaire chez les mormons de France », Marie Drilhon, présidente de l’Adfi Yvelines, est moins enthousiaste sur le mouvement qu’elle décrit comme « autoritaire, où le contrôle des personnes par la hiérarchie est très fort. Il n’y a pas de vraie liberté de penser. On ne discute pas la doctrine et les interrogations sont renvoyées au “Livre” censé fournir toutes les réponses. Les membres sont conscients de leur supériorité. La conversion y est perçue comme un acte de charité envers le converti. Mais ils sont très pragmatiques, respectent les lois des pays dans lesquels ils s’installent et savent jusqu’où ils peuvent aller. La rupture avec les familles n’est jamais demandée, à l’inverse de ce qui se fait chez les témoins de Jéhovah. » Pour Véronique, une ex-adepte, partie après 22 ans passés dans le groupe, « c’est une vraie ”machocratie”. Les femmes y ont un rôle très subalterne, n’ont pas le droit de devenir prêtres, n’existent que pour avoir des enfants, lesquels sont embrigadés très jeunes. »

Paul, autre ex-adepte, est venu à la foi mormone par l’intermédiaire d’Alice, née dans le groupe. Il y a passé dix ans avant que tout deux ne décident d’en partir. Agé de 31 ans, il a été déçu par les dirigeants qui « se qualifient de prophètes, forment un club fermé qui dirige l’Église comme une entreprise. » Il n’a pas supporté l’excommunication de Rock Waterman, un mormon, qui dénonçait l’idolâtrie des actuels dirigeants sur son blog « pure mormonism ».

Mal à l’aise avec la pression morale régnant au sein de l’Église, Alice est elle aussi partie. Elle reste attachée à des principes de cette communauté mais explique « qu’il y a des côtés déplaisants, qui peuvent avoir de l’impact sur des gens vulnérables. L’un de mes amis adolescents qui se masturbait a dû subir un entretien individuel mensuel et a eu interdiction de parler en public pendant un certain temps. Il l’a très mal vécu. Le rejet de l’homosexualité, celui des familles monoparentales, me gênent. Je dirai que c’est une secte light. »

La communauté mormone, installée en France depuis 1849, compterait à ce jour près de 39 000 membres baptisés répartis dans 110 paroisses. 30% d’entre eux seraient actifs, selon le sociologue Christian Euvrard, lui-même mormon. Dans le temple français ouvert au Chesnay en 20172, on célèbre deux « piliers de la culture mormone » : le baptême post mortem et le « mariage éternel ». Le baptême des morts explique l’engouement des mormons pour la généalogie. Dans le monde, ils se sont lancés dans le mircrofilmage des actes d’état civil afin de baptiser leurs ancêtres post-mortem pour qu’ils puissent accéder au paradis. Leur Société Généalogique de l’Utah a déjà recensé deux milliards de noms. En France, l’autorisation officielle de microfilmer les registres de l’état civil leur a été accordée par la CNIL en 2013. Mais « certaines archives départementales ont refusé, le but religieux du microfilmage leur paraissant incompatible avec le service public. » Pour mémoire, ce temple a coûté près de 80 millions d’euros. Une bagatelle par rapport aux 30 milliards de dollars d’actifs que posséderait le groupe selon un article paru dans le Times Magazine en 1997 !

(Source : Marianne, 05.01.2019)

1. Le livre d’Amos est un livre de la Bible hébraïque

2. Lire sur le site de l’Unadfi : Mormons : le Temple de Paris, Bulles 138, 2e trimestre 2017 : https://www.unadfi.org/wp-content/uploads/2017/07/Mormons-Le-Temple-de-Paris.pdf