Le 23 mai dernier, le tribunal correctionnel de Paris a condamné Catherine Phanekam, une kinésithérapeute auto proclamée psychothérapeute. Elle était accusée d’abus de faiblesse et de mise en état de sujétion d’autrui. Ses victimes l’accusent de leur avoir induit de faux souvenirs afin de les éloigner de leurs familles et ainsi les maintenir sous son influence.
Dans son cabinet, la kinésithérapeute pratique davantage des soins psychiques que physiques. Reprenant et interprétant la théorie de la séduction de Freud, selon laquelle le mal-être du patient serait dû à un traumatisme refoulé, elle suggère à ses patientes que leurs difficultés présentes seraient liées à un abus sexuel vécu pendant leur enfance au sein de leur famille. L’affaire, entre les mains de la justice depuis 2008 (les premiers signalements datent de 2003), s’est accélérée suite à la plainte déposée en 2010 par deux de ses patientes à la gendarmerie de Boulogne-sur-Mer. Les deux femmes accusaient leur entourage d’avoir participé à des orgies avec des mineurs, d’avoir sacrifié des enfants et d’avoir fait disparaître des témoins gênants. L’histoire était tellement rocambolesque que les gendarmes ont rapidement compris qu’ils avaient affaire à deux cas de faux souvenirs induits.
Les premiers cas de faux souvenirs induits ont été identifiés aux États-Unis dans les années 1980. Mais rapidement la justice a pris des dispositions pour enrayer le phénomène et ils ne sont maintenant que très sporadiques.
En France la situation est différente. En effet, Claude Delpech, présidente de l’AFSI (Alerte faux souvenirs induits) aurait reçu plus de 800 familles en onze ans. Selon elle, les victimes ont un profil type, ce sont des femmes aux revenus confortables, cultivées, mais mal dans leur peau. Gérard Desmedt, bénévole à l’ADFI Paris, et Brigitte Axelrad, spécialiste des faux souvenirs, expliquent que les victimes sont piégées par le titre trompeur de thérapeute qui n’est nullement encadré par la loi et laisse des individus, dont le diplôme n’est pas reconnu, prodiguer de pseudo-soins psychologiques avec tous les problèmes que cela présente. Brigitte Axelrad précise que le manipulateur procède en trois étapes : la séduction de la victime, la destruction de ses repères et l’induction des faux souvenirs. Elle ajoute : « ils utilisent des questions répétitives : leur objectif est de rebondir sur le récit d’un rêve et de l’interpréter de manière sexuelle ».
La justice est très démunie face à ce problème. La difficulté réside dans le fait de déterminer si le souvenir des plaignants est vrai ou faux. Selon Hedwige Dehon, psycho-cognitiviste à l’université de Liège, « pendant longtemps, on a cru que les souvenirs avec énormément de détails étaient vrais. En fait, pas du tout : on peut construire des faux souvenirs très détaillés. » Pour la justice le souvenir doit être corroboré par des éléments matériels. Hewige Dehon ajoute, « la question que se pose la justice est : à partir de quand la personne se plaint ? S’il n’y avait rien avant la rencontre avec le thérapeute, c’est louche. »
L’amnésie post-traumatique est un élément difficile à appréhender. Le rapport de la mission Flavie Flament paru en avril 2017 préconise l’allongement du délai de prescription à trente ans au lieu de vingt dans les cas d’abus sexuels sur mineurs, mais le problème des faux souvenirs induits n’a pas été pris en compte lors de l’élaboration du rapport. Elisabeth Moirond Braud, juriste et corédactrice du rapport, explique : « ce sont des cas qui peuvent arriver, mais nous ne l’avons pas évoqué car cela reste très marginal. Il y aura toujours des fous. » Mais qu’en est-il des familles injustement accusées d’inceste ?
Les spécialistes des faux souvenirs sont unanimes, les pouvoirs publics ont dix à quinze de retard sur le sujet par rapport aux États-Unis.
(Source : Marianne, 9-15 juin 2017)
Lire sur le site de l’UNADFI :
– Condamnation dans une affaire de faux souvenirs induits : https://www.unadfi.org/groupe-et-mouvance/condamnation-dans-une-affaire-de-faux-souvenirs-induits
– Le procès d’une pseudo-thérapeute : https://www.unadfi.org/groupe-et-mouvance/le-proces-d-une-pseudo-therapeute