Le 16 février 2018, Lauren Stuart, une mère de famille souffrant de dépression a tué ses deux enfants et son mari, et a mis fin à ses jours. Anciens Témoin de Jéhovah, elle et sa famille avaient été excommuniés pour avoir refusé de suivre les directives de l’organisation leur interdisant d’envoyer leurs enfants à l’université.
Bien que les Témoins de Jéhovah affirment que la pratique de l’ostracisme n’est en rien responsable du drame, des amis de la jeune femme croient le contraire. L’une d’elle, Joyce Taylor, pense que la dépression, « l’évitement », et la crainte de l’apocalypse joué un rôle dans ce drame. Quelques semaines avant les meurtres, Lauren s’était montrée préoccupée par l’imminence de « la fin des temps » et une note retrouvée près de son corps confirmerait cette hypothèse. Pour la jeune femme, tuer sa famille était la seule façon de la sauver. Selon les croyances des Témoins de Jéhovah, les personnes mortes avant l’Armageddon seront ressuscitées au paradis. Lauren n’ayant jamais été désendoctrinée, sa croyance profonde en l’apocalypse était toujours ancrée en elle.
Ce drame a ému des dizaines d’ex TJ qui ont décidé de dénoncer et de témoigner publiquement du mal causé par l’excommunication et l’ostracisme qui s’en suit.
Selon des données chiffrées publiées par la WatchTower, 70000 Témoins seraient excommuniés chaque année (soit 1 % des TJ). Les deux tiers ne reviennent jamais dans le groupe.
Selon Mathew Schmalz, professeur agrégé de sciences religieuses au Collège de Sainte-Croix à Worcester (Massachusetts), l’exclusion a deux objectifs : punir ceux qui ne respectent pas les règles et ne garder que des membres purs dans le groupe. Selon Danny, un jeune TJ, l’excommunication est un processus temporaire dont l’objectif est de ramener les fautifs sur le droit chemin1. Et si les adeptes évitent les bannis, ce n’est pas parce que la personne est mauvaise, mais pour l’amener à se demander en quoi ses actes sont mauvais pour l’Organisation et lui laisser une chance de revenir en se repentant de ses fautes. Pour une autre adepte l’excommunication est obligatoire selon la Bible, mais c’est une décision qui est prise après mûre réflexion. Pour elle, ceux qui quittent mal la foi finissent par se sentir irrités et essaient de discréditer le groupe par rancune.
Pourtant les nombreux ex-adeptes interrogés par le Detroit Free Press ne partagent pas cet avis.
Amber Sawyer, n’avait que huit ans quand elle a découvert le corps de sa soeur dans sa chambre. Âgée de 21 ans, celle-ci s’était suicidée en se tirant une balle dans le coeur après avoir été excommuniée pour s’être fiancée à un non Témoin. Après le suicide, Amber se souvient de ce que sa mère avait dit : « vous savez que votre soeur était méchante, n’est-ce pas ? Prendre votre propre vie est très mauvais ». La petite fille a compris ce jour-là que si elle échouait dans sa foi un jour, elle serait abandonnée par ses parents. C’est ce qui est arrivé lorsqu’elle a voulu divorcer d’un mari violent à l’âge de 30 ans. Quand elle a montré les preuves des violences aux anciens, ils ont fait pression pour qu’elle sauve son mariage et lui ont dit de prier plus et de retourner chez elle. Elle a commencé à fumer pour supporter le stress et a été excommuniée pour ça. Sa mère l’a accueillie temporairement, mais devant la menace d’être exclue à son tour, elle a chassé sa fille qui a vécu six mois dans la rue. Depuis sa mère et son autre soeur ne lui parlent plus.
Le cas de Dave Gracey est également dramatique. Il a été excommunié en 2011 à l’âge de 61 ans. Avant cela, il avait été nommé trois fois « ancien », ce titre l’amenant à participer aux comités judiciaires. Il a commencé à se rebeller lorsque ses propres enfants furent jugés. Il a perdu sa fille en 2010, morte d’une overdose de médicaments après avoir été excommuniée pour une raison qu’il n’a jamais réussi à connaître. La même année, sa belle fille de 14 ans a été violée. Mais les anciens ne l’ont pas crue et n’ont rien fait. Une enquête diligentée par les services de protection de l’enfance a conclu que les TJ étaient coupables de mauvais traitements infligés à des enfants. Excommunié en 2011, il admet qu’il lui a fallu encore deux ans pour rompre totalement avec sa congrégation dont de nombreux membres l’évitaient.
Spencer Tyler, quant à elle, a tenté de se suicider. Elle n’est pas la seule. Elle connaît cinq autres personnes dans son cas, dont deux qui sont mortes. Dépressive, elle a été excommuniée pour adultère et apostasie. Son mari l’a suivie, mais le reste de sa famille ne lui adresse plus la parole depuis de nombreuses années.
Pour Kerry Kaye, les meurtres perpétrés par Lauren Stuart ont fait remonter une foule de souvenirs douloureux qui l’ont rendue malade, bien qu’elle ait quitté le groupe depuis près de 20 ans. Elle était très jeune quand une de ses amies s’est suicidée à l’âge de 20 ans après son excommunication pour avoir été enceinte hors mariage.
Selon elle, beaucoup de TJ souffrent de dépression. Elle explique que l’annonce d’un départ ou d’une excommunication se répand comme une traînée de poudre au sein des congrégations et immédiatement les ex-membres sont évités. Elle reconnaît avoir, elle-même, évité son propre père pendant des années car il avait quitté le mouvement qui lui demandait de choisir entre son travail au gouvernement ou sa foi. Kerry a finalement décidé de rejoindre son père. Mais son départ a été difficile et, devenue suicidaire, ce n’est qu’après avoir déménagé loin avec ses trois enfants qu’elle a réussi à se reconstruire.
(Source : Detroit Free Press, 18.03.2018)
Lire sur le site de l’Unadfi, L’Excommunication chez les TJ, une atteinte aux Droits de l’homme : https://www.unadfi.org/groupe-et-mouvance/dossier-temoins-de-jehovah-l-excommunication-une-atteinte-aux-droits-de-l-0