S’appuyant sur son expérience à l’intérieur du « mouvement anthroposophe », illustrant son analyse de nombreux exemples, l’auteur dévoile les bases implicites de l’enseignement dans les écoles Steiner-Waldorf et permet ainsi de mieux comprendre le paradoxe souvent perçu de l’extérieur, d’une pédagogie de l’éveil attractive et d’un système de pensée fermé qui génère des dérives et rend difficile une ouverture au « monde extérieur ».
L’Anthroposophie est la doctrine de Rudolf Steiner (1861-1925), philosophe, théosophe, mystique et pédagogue du début du XXe siècle, originaire d’Autriche-Hongrie. La Société Anthroposophique, association qui se donne pour mission de propager sa doctrine ésotérique, est issue d’une scission intervenue en 1913 au sein de la Société Théosophique. La doctrine de Rudolf Steiner comporte un vaste enseignement d’ordre gnostique comprenant des éléments aussi divers que la réincarnation et le karma, la nature solaire du Christ, les différents corps subtils de l’Homme, etc. Mais cette doctrine n’est pas seulement un ensemble théorique. Rudolf Steiner a également proposé les bases de nouvelles activités dont certaines ont connu un succès planétaire : parmi celles-ci, on peut citer les produits cosmétiques de la firme Weleda, l’agriculture biodynamique, et la pédagogie Steiner-Waldorf.
Sur le site internet de la Fédération des Écoles Steiner-Waldorf, ou lors d’une journée porte ouverte de l’une de ces écoles, personne ne vous parlera ouvertement des liens entre la pédagogie Steiner-Waldorf et la doctrine anthroposophique. On vous parlera d’une pédagogie plaçant l’épanouissement de l’individu au cœur de ses préoccupations, en prenant en compte le caractère unique de ce dernier grâce à une conception de l’entité humaine. Tout au plus présentera-t-on Rudolf Steiner en tant que pédagogue et philosophe du siècle dernier, tandis que les écoles Steiner-Waldorf seront surtout décrites comme des institutions innovantes, au même titre que les écoles Freinet ou Montessorri. On ne fera pas état de l’Anthroposophie en tant que doctrine ésotérique constituant le socle théorique de cette pédagogie, ni surtout des liens humains, voire institutionnels[1], qui associent de fait les structures Steiner-Waldorf et la Société Anthroposophique[2].
Et pourtant, ces liens entre les écoles Steiner-Waldorf et l’œuvre de Rudolf Steiner, ainsi qu’avec l’institution qui la promeut, sont bien réels. Je peux en témoigner à plusieurs titres : en tant qu’ancien élève ayant fait la majeure partie de sa scolarité dans ces écoles, ancien enseignant de ces écoles ayant effectué sa « formation pédagogique » à l’Institut Rudolf Steiner de Chatou (sorte d’IUFM des écoles Steiner-Waldorf en France), et ancien membre de la Société Anthroposophique ayant, pendant des années, collaboré étroitement avec son Comité Directeur. De 1979 à 1989, j’ai été élève des écoles Steiner-Waldorf de Verrières-le-Buisson et Chatou, en région parisienne. J’avais neuf ans quand mes parents, déçus par l’Éducation Nationale, m’ont mis dans cette école. A la fin de ma scolarité, durant mes années de Lycée, j’ai assisté au sein-même de mon école à quelques conférences traitant de conceptions anthroposophiques[3]. C’est pourquoi, de 1990 à 1995, jeune étudiant, j’ai eu envie de fréquenter assidûment les conférences publiques de la Société Anthroposophique à Paris, dont j’ai ensuite été membre de 1995 à 2009. Entre 1992 à 2004, j’ai également été, avec quelques interruptions, professeur dans les deux écoles Steiner-Waldorf de la région parisienne. Pendant cette même période, et jusqu’à ma démission en 2009, je collaborais étroitement avec le président de la Société Anthroposophique en France, notamment sur la question des jeunes, pour lesquels j’avais été chargé d’imaginer une « formation anthroposophique ». Il était d’ailleurs question, dans la conception de cette future formation, de s’adresser prioritairement aux anciens élèves Steiner-Waldorf qui « portent dans leur karma de rencontrer l’Anthroposophie », selon les propres mots de Bodo von Plato, membre du comité Directeur de la Société Anthroposophique Universelle, avec lequel je collaborais à ce projet. J’ai donc été un membre important de cette Société Anthroposophique, donnant des conférences, animant des groupes de travail et écrivant des articles dans les différentes revues, ayant écrit un livre paru dans l’une de leurs maisons d’édition[4]. J’avais même parfois le « privilège » de rencontrer l’un des membres du comité directeur de la Société Anthroposophique Universelle, dont le siège est situé près de Bâle en Suisse. Au sein même de la Société Anthroposophique, j’ai été membre de l’École de Science de l’Esprit, c’est-à-dire de la catégorie spéciale d’anthroposophes ayant accès aux vérités ésotériques supérieures qu’il n’est pas permis de communiquer, même aux simples membres de la Société Anthroposophique. Je participais aux Leçons ésotériques, c’est-à-dire le culte secret de cette École de Science de l’Esprit[5]. Ce culte avait d’ailleurs lieu au sein même des locaux de l’école Steiner Verrières-le-Buisson.
Aujourd’hui, avec du recul, il est clair pour moi que ce qui m’a conduit à devenir un membre actif et éminent de cette organisation à caractère sectaire trouve son origine dans ma scolarisation dans une école Steiner-Waldorf à l’âge de 9 ans, le reste de mon parcours n’ayant été que la suite logique des effets de l’endoctrinement que j’y avais subi.
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DROIT DE RÉPONSE
Suite à la publication en juin 2011, dans le dernier numéro de Bulles, du témoignage de Monsieur Grégoire Perra, intitulé « L’endoctrinement à l’Anthroposophie dans les écoles Steiner-Waldorf », la fédération des écoles Steiner-Waldorf en France nous demande de publier le « droit de réponse » qui suit :
« Le témoignage de Grégoire Perra, intitulé « L’endoctrinement des élèves à l’Anthroposophie dans les Ecoles Steiner-Waldorf », mis en ligne par l’UNADFI le 8 juillet 2011 en page d’accueil de son site internet, appelle de la part de la Fédération des Écoles Steiner-Waldorf en France les remarques suivantes :
1. L’UNADFI ignore manifestement les motifs qui ont contraint l’école Perceval de Chatou (Yvelines), dans laquelle il a enseigné durant quelques années, à se séparer de Grégoire Perra. La connaissance de ces faits, gravement attentatoires à la déontologie élémentaire qui doit être celle de tout enseignant en lycée, aurait permis à l’UNADFI d’appréhender la qualité de ce prétendu témoin. Pour les connaître, il aurait suffi qu’elle le demande à la Fédération des Écoles Steiner-Waldorf en France avant de poster ce pamphlet. Elle s’est regrettablement abstenue de le faire.
2. Le ministère de l’Education nationale a diligenté le 14 décembre 1999 des inspections inopinées dans toutes les écoles Steiner-Waldorf de France et a conclu, par courrier du ministre de l’Éducation nationale, daté du 24 juillet 2001 : « Les contrôles diligentés par Monsieur l’Inspecteur général Daniel Groscolas n’ont pas révélé de pratiques à caractère sectaire. J’en ai informé
Monsieur Alain Vivien, président de la Mission interministérielle de lutte contre les sectes qui a pris bonne note de nos conclusions». Monsieur Perra ne démontre pas en quoi nos méthodes pédagogiques auraient évolué depuis lors.
3. Le 21 mars 2000, la 17è chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris a jugé coupable du délit de diffamation publique envers les associations anthroposophiques parties civiles – dont la Fédération des Écoles Steiner-Waldorf en France – le député Jacques Guyard, président de la commission parlementaire sur les sectes et l’argent, pour avoir allégué sur l’antenne de France 2 du caractère sectaire de l’Anthroposophie. Le jugement relevait particulièrement qu’en affirmant « le caractère sectaire de ce groupe au regard de plusieurs critères qu’il énonce (…), [le prévenu] impute aux membres de la communauté anthroposophe des pratiques illégales, gravement attentatoires aux libertés individuelles et dangereuses pour la santé d’autrui ; de telles allégations revêtent à l’évidence un caractère diffamatoire à l’égard des personnes visées». La décision subséquente de la Cour d’appel de Paris, si elle a octroyé au député Guyard le bénéfice de la bonne foi, n’a pas remis en cause le caractère pénalement répréhensible de toute allégation de sectarisme portée à l’encontre des institutions anthroposophiques. Pour l’avoir négligé, le quotidien Le Figaro a, quelque temps après, été lui aussi condamné pour diffamation.
L’UNADFI, qui ne pouvait ignorer ces éléments qui interdisent de considérer la pédagogie pratiquée dans les écoles Steiner-Waldorf comme emprunte d’un caractère sectaire, a-t-elle fait preuve de légèreté en publiant, sans procéder à quelque vérification, les accusations de Grégoire Perra ? Ce document, ainsi que la présentation qu’en fait l’UNADFI en page d’accueil, contient au demeurant suffisamment d’allégations diffamatoires pour contraindre la Fédération des écoles Steiner-Waldorf en France à envisager l’engagement de poursuites devant les juridictions pénales. »
Cette réponse appelle les commentaires suivants :
1- Monsieur Perra, dont le témoignage semble embarrasser la Fédération des Écoles Steiner-Waldorf en France, n’a jamais été ni mis à pied, ni sanctionné, ni n’a reçu la moindre lettre d’avertissement de la part de l’Ecole Perceval. Il a démissionné de ses fonctions, pour des raisons que son témoignage éclaire singulièrement ;
2- Que le ministère de l’Éducation nationale n’ait « pas révélé de pratiques à caractère sectaire » est précisément une des raisons pour lesquelles Monsieur Perra a souhaité témoigner : les méthodes d’endoctrinement décrites ont notamment pour but d’échapper effectivement à la vigilance des inspecteurs de l’Éducation nationale ;
3- Quant à la décision de la Cour d’appel de Paris, qui a effectivement relaxé le député Jacques Guyard, elle n’a à aucun moment consacré le « caractère pénalement répréhensible de toute allégation de sectarisme portée à l’encontre des institutions anthroposophique ». En revanche, elle a bien débouté la Fédération des Écoles Steiner-Waldorf en France de toutes ses demandes de dommages-intérêts…
Le décryptage – nécessaire et révélateur – du « droit de réponse » de la Fédération des Écoles Steiner-Waldorf en France est sans aucun doute le meilleur soutien au témoignage de Grégoire Perra.
[1] Voir sur la version PDF, la partie III de ce témoignage
[2] Si ces liens étaient annoncés, l’Etat français subventionnerait-il ces écoles ?
[3] En classe de seconde, les enseignants nous avaient fait assister, durant nos heures de cours, à une conférence de Gérard Klockenbring, anthroposophe et Pasteur de la Communauté des Chrétiens, sur le thème de « la nature suprasensible de l’être humain ». Lors de mon année de Terminale à l’école Steiner-Waldorf de Chatou, on nous informait que Gérard Klockenbring donnait un cycle de conférences à proximité de l’école. Je m’y rendis et c’est ainsi que, séduit par son enseignement, je finis par suivre ce conférencier lorsqu’il donnait des conférences à la Société Anthroposophique.
[4] Christophe Dekindt et Grégoire Perra, Du spirituel au cinéma, les arrière-plans occultes du cinéma d’action américain, Ed. Pic de la Mirandole.
[5] Rudolf Steiner, Leçons ésotériques de la première classe, Ed. E.A.R