Haïti / Prières et humanitaire

Trois ans après le séisme qui a ravagé le pays, « de drôles » de tour-opérateurs ont investi l’île. Les clients ? Des fidèles évangéliques qui viennent y séjourner une semaine. Au programme : peindre des maisons nouvellement construites, participer à des séances de catéchisme, visiter des villages… et passer un jour à la plage dans un club touristique.


L’ambassade américaine estime à 200.000 le nombre de volontaires américains qui, chaque année, font le déplacement sur l’île. Il reste néanmoins difficile d’estimer la proportion des évangéliques, membres d’églises locales ou missionnaires, « qui ont choisi Haïti pour partager avec les habitants l’Tmuvre de Jésus-Christ ».
Pourtant, presque chaque vol recèle son lot de « touristes de la foi », reconnaissable à leur tee-shirt !

L’un des acteurs importants de ce type de tourisme qui a suivi le séisme, s’appelle Brad Johnson. Il a participé il y a quinze ans à la création de « Mission of Hope Haïti », un campus de 40 hectares entouré de grilles qui comporte des missions religieuses américaines, des orphelinats, des églises, des écoles… « Mission of Hope » offre 54.000 repas par jour aux enfants haïtiens. Il s’agit de petits sachets de plastique, remplis de riz, de soja et de nutriments variés fabriqués par des organisations religieuses aux Etats-Unis et importés en Haïti. La mission prévoit de distribuer 100.000 repas par jour en 2015.

Un village proche de la Mission voit ainsi défiler presque chaque jour des factions d’évangéliques. Les habitants restent en général « de bonne composition » mais des insultes en créole peuvent fuser. Un adolescent affirme que rien ne change depuis l’arrivée des étrangers : « Ils font des millions avec leur mission et on ne récolte rien. Moi, j’étais élève dans leur école, et à la minute où ma mère n’a plus eu d’argent, ils m’ont viré ». Effectivement, les frais de scolarité reviennent à 100 dollars américains par enfant et par année aux familles. Une somme importante dans un pays où plus de la moitié de la population vit avec moins d’un dollar par jour.

Mais les visiteurs ne sauront rien de la mauvaise humeur d’une partie de la population. Ils viennent pour prier avec les habitants. Une haïtienne interrompt ainsi la préparation de son repas pour partager une prière avec les américains et demander à Dieu de mettre un terme à la misère… Un médecin du Michigan, quant à lui, est préoccupé par le fait qu’il y ait « beaucoup de vaudou dans ce pays ». Il estime que « ce n’est pas un juste chemin pour ce peuple ». Les évangéliques américains sont persuadés que les pratiquants du vaudou adorent « le diable ».

Des aspects importants de la vie locale échappent ainsi totalement aux évangéliques américains. Le directeur du Bureau national d’ethnologie, Erol Josué, estime que « la façon dont les évangéliques opèrent relève du néocolonialisme. Ils croient conquérir l’âme du peuple haïtien avec un repas chaud. C’est une atteinte à l’identité nationale, à notre tradition ancestrale du vaudou.

Ils bénéficient des débats sans fin de nos politiciens qui abandonnent tout l’espace à ces prosélytes ». Quant à la ministre du tourisme, elle ne soutient pas cette forme de « séjour » car cela confirme Haïti « dans son image de terre qui ne peut être visitée que lorsqu’il s’agit de l’aider », ajoutant que « nous sommes prêts à accueillir des touristes qui veulent seulement passer du bon temps en Haïti ».

Source : Le magazine du Monde, Arnaud Robert, 12.01.2013