L’écrivain canadien Ewan Whyte mène depuis de longues années un combat pour dénoncer les agissements de la Communauté de Jésus, la secte chrétienne fondamentaliste au sein de laquelle il a grandi. Il a fait partie des 1 359 anciens élèves qui ont intenté un recours collectif contre le Grenville Christian College, une école du groupe où lui et d’autres élèves ont vécu un véritable enfer. Il a livré plusieurs témoignages dans la presse et a récemment rédigé un ouvrage pour les besoins duquel il est venu en Europe visiter des communautés liées au groupe. Il craint aujourd’hui que les enfants qui en sont membres n’y subissent les mêmes abus que ceux qu’il a enduré durant toute son enfance.
La Communauté de Jésus est un groupe charismatique fondé par deux mères au foyer, Cay Andersen et Judy Sorensen, qui prétendaient que Dieu leur parlait directement. Si le père d’Ewan Whyte, un pasteur, n’en n’a jamais été membre, sa mère l’a été jusqu’à la fin de sa vie. Dès leur entrée dans la secte, Ewan Whyte fut séparé de ses parents pour être logé dans une maison avec d’autres garçons afin de ne pas être détourné de Dieu par l’amour parental, considéré comme une idolâtrie par les « mères ».
Inquiète qu’il tourne mal pour avoir voulu porter des jeans, sa mère obtient qu’il soit scolarisé dans le Grenville Christian College. Les frais de scolarité étant très élevés, elle-même y fut employée comme professeur. Malgré cela son séjour n’y fut pas plus doux.
Grenville était organisé autour d’une structure hiérarchique rigide. Les ordres venant du sommet s’apparentaient à la parole de Dieu, et les punitions étaient administrées en fonction des caprices du directeur. Les élèves dont les parents étaient influents étaient mieux traités que les enfants du personnel qui étaient maltraités en toute impunité.
La vie à Grenville était rythmée d’activités quotidiennes qui ne laissaient quasiment aucune place aux loisirs. Outre les cours et les offices religieux, les enfants devaient participer à l’entretien des lieux et faire la cuisine, ce qui a certainement permis à l’institution de faire des économies substantielles.
Les enfants ont été soumis à des sévices physiques et psychologiques d’une rare violence.
Certains des enfants ont été battus jusqu’au sang, jusqu’à uriner sur eux-mêmes, jusqu’à ne plus tenir debout. Ewan a été forcé de manger son vomi, a été enfermé durant une heure
dans un congélateur. Mais ce qu’il redoutait le plus était « les séances de lumière » quotidiennes au cours desquelles les membres adultes passaient des heures à réprimander et à humilier publiquement les enfants pour des péchés qu’ils ne comprenaient même pas afin de les maintenir dans l’obéissance par la terreur. Le directeur de l’école allait même jusqu’à emmener des élèves dans la chaufferie et approchait leur visage des flammes pour leur donner un aperçu de l’Enfer auquel ils étaient destinés s’ils continuaient à pécher.
Isolé de sa famille, Ewan ne pouvait confier sa détresse à personne car les responsables avaient mis en place un système de délation où les dénonciateurs étaient récompensés.
Lorsqu’il a eu 15 ans, il est revenu vivre avec ses parents sur demande de sa mère. Mais les choses ont empiré. Les séances de lumières se sont intensifiées, les dirigeants du groupe l’appelaient personnellement. Il a fini par comprendre que ce traitement n’avait d’autre but que de faire de lui un frère de la communauté, selon le propre voeu de sa mère.
Un an plus tard, ayant atteint l’âge légal pour quitter sa famille, il a décidé de s’enfuir. Mais une fois libre, il a vécu une décennie de précarité avec des périodes de sans-abrisme. Il a enchainé les petits boulots, a essayé de faire des études, mais trop fragile psychologiquement, n’y est pas parvenu. Choqué par son histoire, un psychiatre n’y a pas cru et l’a déclaré schizophrène.
Mais le plus incroyable pour lui est que la maltraitance des enfants ait pu durer pendant plus de 30 ans à l’insu des autorités. Le collège qui attirait d’illustres et riches familles de Toronto (hommes d’affaires, politiciens, journalistes), était protégé par sa bonne réputation, si bien que certains parents ont pris fait et cause pour l’école lorsque les premiers témoignages dénonçant les maltraitances sont sortis.
Les membres du personnel, qui avaient fait voeu d’appartenance à la Communauté de Jésus et versaient 10 % de leurs revenus à la Communauté, n’auraient rien pu faire pour les enfants : ils étaient totalement inféodés au système sectaire.
Ce n’est qu’en 2007, alors que des rumeurs d’abus continuaient à faire surface, que la police provinciale de l’Ontario a lancé une enquête. Mais lorsque les policiers ont interrogé Ewan White ils ne l’ont pas cru, l’accusant même de mentir sur son histoire. Et finalement, ils n’ont rien fait contre l’église.
L’affaire n’en est cependant pas restée là. Andrew Hale-Byrne, un ancien élève, a poursuivi obstinément son combat pour dénoncer les maltraitances subies par les enfants au sein du collège. Il a dévoilé le scandale dans la presse, a engagé une équipe juridique et a réussi à réunir 1360 anciens élèves qui ont lancé un recours collectif contre l’institution.
Après 12 années de litige, le procès en recours collectif s’est ouvert devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario en septembre 2019. Les victimes ont réclamé 200 millions de dollars en compensation, ainsi que 25 millions de dollars en dommages et intérêts punitifs. Le procès qui a duré 5 semaines a révélé de nombreux cas d’abus. Le jugement rendu en février 2020 a conclu que l’école n’avait pas respecté les normes de soin et a statué en faveur des plaignants sur tous les points. La juge Janet Leiper a reconnu que « Grenville a sciemment créé une culture abusive, autoritaire et rigide qui exploite et contrôle les adolescents en développement qui lui sont confiés », écrit-elle. « Certains élèves se sont enfuis, se sont cachés ou ont demandé à être retirés de l’école. D’autres n’ont pas été crus ou ont souffert en silence. J’en ai conclu que les preuves de mauvais traitements et les diverses formes d’abus perpétrés sur le corps et l’esprit des élèves au nom des valeurs de soumission et d’obéissance de la [Communauté de Jésus] s’étendaient à toute la classe et sur plusieurs décennies ».
L’école a fait appel de la décision, mais cela n’empêchera pas un second procès sur les dommages et intérêts. Pour Ewan et d’autres victimes, ce procès a permis une reconnaissance de leur statut de victimes.
Mais il aura fallu plus de 25 ans avant que cette culture de la violence ne devienne publique et une autre décennie avant que lui et quelque 1 359 autres anciens élèves
obtiennent justice.
(Source : Toronto Life, 05.01.2021)