Dévots de Krishna. Après l’imposture, connaîtra-t-elle le renouveau ?

BULLES, mars 1987

Après les dernières nouvelles du Temple de Virginie évoquées par Sylvaine Stein dans un numéro de  » l’Express  » de novembre 1986, P. Mangetout dans  » Libération  » du 3 février 1987, en communique d’autres, d’une manière un peu différente cependant, venues de nos Provinces. Dernières nouvelles de la vie des châteaux d’Oublaisse et d’Ermenonville, qu’on abandonne peu à peu, où vivaient depuis plus de 10 ans Dévots et Grands Maîtres. Vie de luxe et de privilèges pour ceux-ci, vie de rigueur et d’austérité pour les autres, qui l’acceptèrent avec une patience qui étonna beaucoup.


A la lumière des remous qui ébranlèrent l’AICK en 1986, cette attitude des adeptes pourra peut-être s’expliquer. Nous pouvons au moins tenter de le faire d’après des témoignages divers, venant des Dévots eux-mêmes ou de familles concernées.

Il se précise bien, en effet, que M. Eirlichmann devenu Bhagawan, et successeur du vieux Maître décédé Prabhupada, confirme par ses actes tout ce qui avait été craint et combattu au cours des dernières années, tant par les parents alarmés que la presse critique ou les ADFI alertées.

En effet, depuis la mort du dernier Sage de cette lignée hindouiste consacrée à Krishna, nous apprenons avec surprise que son trône vénérable n’aurait plus jamais dû être occupé !

Cette usurpation dont le public ne sut rien à l’époque déclencha chez les anciens Purs Dévots une véritable consternation. Refusant de vivre sous la férule matérialiste d’un gourou européen se prétendant désigné (par qui ?), ils formèrent bientôt le premier noyau de l’opposition à Bhagawan.

Cependant, cette prise de pouvoir orchestrée hors d’Europe ne put jamais être éclaircie (par manque de moyens, sans doute), et d’autre part, le nouveau Maître ne cachant pas ses appuis en hauts-lieux, les Dévots, tenus par leur voeu d’obéissance, s’inclinèrent. Certains souhaitant sincèrement vivre leur spiritualité en Krishna, d’autres soucieux en sus de leur sécurité. Et puis, si Krishna, Maître de leur destin, les éprouvait pour l’heure, il aurait bien pour eux en son temps un plan de délivrance ! Pourquoi pas ? pensaient-ils.

Ils continuèrent donc de prier et chanter, dans les temples et les rues, vendant la Bhagavad Gîta sous toutes les latitudes. Les gracieuses Dévotes dans leurs saris bien-aimés, leur dieu au fond du coeur, partirent pour des quêtes prestigieuses et rapportèrent chacune de petites fortunes.

Peu importait d’ailleurs les moyens employés pour obtenir cet argent des démons que nous sommes et de certains Dévots parfois récalcitrants. Pour ceux-là, les sanctions, les moyens énergiques, pour nous les quêtes trompeuses, le charme persuasif, le mensonge  » transcendantal « . Pour la Gloire de Krishna et par la Grâce du rituel, tout pouvait s’accepter, y compris les dures campagnes saisonnières, les fameux marathons devant rapporter deux ou trois mille francs par jour et par Dévot.

Enfin, tant d’argent épuré permit bien des fastes, pour le gourou en particulier, qui s’installa impunément dans une aisance un peu trop démonstratrice pour le fisc, choquante pour les Dévots. Ermenonville devint le fief favori, on y installa chambre forte et machines à compter, pour répartir (sur quoi et où) un argent qui arrivait à flot. Ce fut le temps de toutes les impostures.

On était bien loin de cette merveilleuse vie rurale parmi les vaches et les potagers, tant prêchée par Prabhupada et à Oublaisse, où les jardins étaient en friche, où des mères de famille vivaient chichement. Là-bas, il était normal que les allocations familiales que touchaient quelques-unes soient partagées avec des Dévots encore plus dépourvus. Quelle chance ! on pouvait manger, Merci, Krishna.

Peu d’importance était donnée à la santé des enfants, non plus qu’à la nourriture jamais trop abondante, ni équilibrée, mais toujours sanctifiée par Krishna. Krishna, grand médecin, non seulement des âmes mais des corps, veillait sur Tous et sur Tout, mais ne pouvait rien sans doute sur les caries dentaires dont les enfants étaient gravement atteints.

Vers cette époque eurent lieu des enquêtes administratives et des retraits d’enfants, suite à plusieurs plaintes et problèmes sérieux. La presse s’en fit l’écho ; l’ADFI et les familles intervinrent. On parla de scandales à l’étranger, plus tard de trafics d’armes. Même en France, des Dévots furent arrêtés. D’autres protestèrent et quittèrent les châteaux. Certains s’établirent comme ils purent en divers coins de France, d’autres encore partirent en Inde vers la source pure de la doctrine, auprès de Maîtres riches de Sagesse dont l’enseignement est toujours gratis !

C’est donc dans un climat très mouvant et de tensions incontestables qu’arriva la plus dure des épreuves, celle des redressements fiscaux. Ils furent très durs. Tous les Dévots en furent touchés et il leur fut demandé un surcroît d’efforts et d’austérité. Moment fatal pour Bhagawan qui vit les rangs de ses adeptes s’éclaircir, les caisses se vider. Dès lors, plus que jamais, le désarroi régna dans les châteaux à l’abandon où la vie devint celle des plus pauvres chaumières. Des Dévots purent partir, désargentés et quelquefois malades. Ils rejoignirent famille ou amis, certains furent aidés par les anciens, déjà réinsérés.

D’autres pourtant, femmes et enfants compris, n’ayant plus aucun contact extérieur, durent bien s’accommoder de ce qui leur restait, au moins un toit, du bois pour se chauffer, et leur foi en Krishna.

Attendant une issue qui ne pouvait venir que si Bhagawan Eirlichmann abandonnait un trône d’où personne ne pouvait le déloger, tous continuèrent de prier, faisant toujours confiance à Krishna. Krishna n’avait sans doute abandonné personne puisque en septembre 1986 le Maître abdiqua enfin. Pour le bien de beaucoup peut-être, pas très élégamment pourtant.

Il laissait derrière lui avec son état de  » saint  » homme vénéré, une femme et trois enfants. Toutes ses bases étaient en détresse, mais il emmenait, aux Etats-Unis une deuxième épouse et l’assurance d’un avenir sans soucis financiers.

Depuis, c’est Hare, Hare Krishna dans les temples où règne le soulagement. Remerciant ce Dieu qui ne les a pas abandonnés, les Dévots s’expliquent et reconstruisent déjà.

On ne vénérera plus que Prabhupada, mais on se veut indulgent pour l’ex-Maître dont le Karma devra s’alléger encore beaucoup…

Il est d’ailleurs possible, dit-on, que celui-ci, très marqué par la notion religieuse, bien américaine  » de l’abondance due au mérite  » ait trouvé tout naturel de se l’octroyer. Dommage qu’il ait oublié ceux qui pensaient l’avoir mérité aussi, même à moindre mesure, pour élever tout simplement leur famille.

Le château de J.-J. Rousseau devenu inhabitable est maintenant fermé, presque tous les Dévots ont quitté Ermenonville pour la Nouvelle Mayapura d’Oublaisse où les rangs se resserrent. Une vraie vie rurale s’y organisera-t-elle enfin sous les augures bienveillants de Prabhupada dont la doctrine est en train de renaître ?

On pourrait peut-être en douter quand, après le bilan d’une aussi étonnante expérience de marketing spirituel, l’AICK rentre dans les structures américaines de son origine, l’ISKCON, avec quelques gestionnaires privilégiés du temps de Bhagawan.

Pourtant, il ne faut pas oublier la majorité des Purs Dévots. Nous en avons rencontré plusieurs et pu constater qu’une très forte prise de conscience se faisait en ce moment parmi eux. Les ouvertures tentées vers un public jusqu’alors délaissé sont courageuses et intéressantes pour tous (nous compris).

Respectueux de la liberté de chacun pour honorer un dieu choisi, nous devons reconnaître que la Foi de beaucoup de ces Dévots reste intangible et qu’ils souhaitent pouvoir la vivre pleinement, débarrassée de tous compromis. Ils s’en expliquent largement dans leur petit journal  » La Plume de Paon « , en toute liberté et dans la plus grande diversité d’opinions. Nous remercions Christophe Léonard Petit qui nous a autorisés à en reproduire les quelques extraits qui suivent.