Clothilde, petite fille dans une secte

Clothilde est une jeune fille de 20 ans qui, dès l’âge de 5 ans, a vécu dans un groupe sectaire. Ses parents sont adeptes d’un groupe guérisseur new-age. Ce groupe est composé d’une quarantaine de personnes vivant en communauté.


Les adultes conservent une vie professionnelle et les enfants vont à l’école. La communauté est dirigée par un Maître considéré comme un être exceptionnel : « il est l’image du Bien et incarne les valeurs».
Une méthode et des exercices quotidiens sont préconisés afin de « se projeter vers la perfection ». Les enfants sont amenés à lire et étudier les livres du groupe, à écouter les cassettes du Maître, à participer aux discussions après chaque repas, à rester éveillés certaines nuits pour prier et effectuer quotidiennement des méditations.

Aussi, chacun est engagé dans une thérapie menée par le Maître. L’objectif de cette thérapie est de conduire vers un monde nouveau. Ainsi, il s’agit de sortir le fidèle de ses souffrances, de résoudre ses problèmes afin d’être meilleur, de perfectionner sa conduite et de contrôler ses pensées quotidiennes pour ne pas avoir de pensées négatives.

Très tôt, Clothilde a reçu un enseignement secret où prédominent l’ésotérisme, la magie et l’irrationnel. Plongée dans un univers insolite, envahie de croyances qu’elle ne pouvait comprendre ni partager, Clothilde a souffert d’une grande solitude. Repliée sur elle-même, en dehors du monde et incomprise, elle « devait être parfaite pour servir son Maître ».

Aujourd’hui, Clothilde est dans une telle détresse qu’elle a besoin d’être aidée. Elle « ne peut vivre dans aucun des deux mondes » : elle n’appartient «ni à la secte ni au monde extérieur ». Elle est prise par les principes du groupe et les exercices quotidiens et, pourtant, elle voudrait tant s’en débarrasser. Elle dit ne pouvoir prendre aucune décision. Elle a le sentiment d’être « une idiote, une incapable, une
moins que rien ». Aussi, elle souffre beaucoup de ne pouvoir établir de liens avec les autres. Elle garde l’idée inculquée d’un monde de pervers. Ainsi, elle a n’a pas confiance et a très peur de se faire avoir, d’être envahie par les autres. De même, elle pense qu’elle ne mérite pas l’amour des autres puisqu’elle n’a rien à leur donner : « Un principe fondamental du groupe est que l’on ne peut atteindre l’amour que si l’on a parcouru les étapes pour accéder à la lumière. En dehors de cet idéal, les hommes sont des pervers, des monstres, ils sont pris par leurs péchés et sont dans la faute ». Puisqu’elle renonce à la perfection, elle se perçoit comme un monstre et pense être dans la faute d’où l’interdiction de communiquer avec les autres. Car pour communiquer avec les autres, il faut être utile et bon. Ayant renoncé à être quelqu’un de bien, Clothilde se sent coupable d’être ce qu’elle est, elle ne peut pas se respecter et pense ne pas mériter de vivre.

Lors de nos entretiens, elle explique les dangers du groupe : « ils transforment les souvenirs, insultent violemment les fidèles et dirigent totalement toute la vie des adeptes. Ils m’ont toujours considérée comme une débile mentale car je ne parlais pas et je ne voulais pas participer aux activités ». Elle explique qu’il lui était impossible de critiquer, de s’opposer ou de refuser quoi ce soit. Même auprès de ses
parents, elle ne pouvait réagir sinon « ils prenaient pour elle. ». Car, selon, les théories du groupe, la mère transmet à son enfant toutes les valeurs, l’enseignement, la discipline et le respect envers le Maître. Si un enfant s’oppose cela signifie que la mère n’a pas donné tout ce qu’elle avait. Elle est donc en faute. Coupable, elle peut être punie, humiliée… D’ailleurs, Clothilde se souvient d’un jour où, à cause d’elle, sa mère a été enfermée dans une pièce plusieurs jours sans pouvoir manger.

Face à une telle déstructuration et intrusion, Clothilde ne pouvait que garder le silence pour se protéger. Aujourd’hui, ce silence lui pèse, l’accable, elle a besoin de parler, de parler et de parler encore. Notre travail de soutien psychologique durera plusieurs années.

Delphine GUERARD,

Psychologue clinicienne, ADFI Paris.

Article extrait de Bulles 82 «Les sectes et les enfants»