Une victime de faux souvenirs témoigne

S.B. a été sous l’emprise d’un « humanothérapeute » durant 12 ans. Elle découvrira plus tard qu’il « n’avait rien d’humain, ni de thérapeutique » ; elle lui aura laissé 238.000 euros.

À peine arrivée à Paris pour entreprendre des études en psychologie, S.B. est venue chercher des conseils et trouver réconfort auprès d’un « thérapeute », parent par alliance qu’elle connaissait à peine.
Les séances ont démarré dès leur première rencontre. Le protocole prévoyait des « sessions » de six heures par jour, tous les jours pendant trois semaines. L’heure lui était facturée 180 euros. Pour justifier ce prix prohibitif, il disait que « la vie n’avait pas de prix ».

Elle commence quelques mois plus tard. La première session s’est déroulée à 7h30 du matin, dans une pièce sombre. Elle a passé toute la matinée à parler et à pratiquer de la respiration abdominale. L’hyperventilation la mettait dans un état comparable à l’ébriété. Entre les sessions, il lui était interdit de communiquer avec l’extérieur, d’ouvrir son courrier. La consigne était de manger peu et de dormir au maximum 3 ou 4 heures entre 18h et minuit.
Fatiguée et perdant tout discernement, S.B. tombe dans le piège du « thérapeute ». Il commence par lui faire croire que ses parents ne lui avaient pas donné d’amour et que c’était la raison de ses souffrances. Commencent également les premiers contacts physiques qui évolueront progessivement vers des rapports sexuels.

Faisant le vide autour d’elle, elle n’a plus rien d’autre que lui, il est devenu son dieu. Elle déménage pour s’en rapprocher.
Entre 1993 et 2004, S.B. a suivi trois sessions de trois semaines et une de cinq semaines. Entre chacune, elle rédige des comptes rendus dont il prétendra prendre connaissance gratuitement dans un premier temps puis, contre des centaines d’euros.
Dans leurs relations, rien de devait être remis en cause, ni la « thérapie », ni la vie en autarcie.

S.B. a réussi à sortir de ce gouffre grâce à un homme (qu’elle épousera plus tard) qui a su lui poser les questions lui permettant de prendre conscience de la situation dramatique dans laquelle est se trouvait.
Elle a analysé les rouages qui ont permis au thérapeute de la mettre sous emprise comme la rupture avec l’extérieur, l’exigence de la confession intime et de la nudité qui prépare à la dépendance totale et aux abus sexuels et enfin les exigences financières. Tous ces éléments conduisent au secret absolu qui lie dans la durée le gourou et sa victime. La prise de conscience durant l’emprise est impossible puisque la victime fait partie intégrante du processus.
Quand la sortie peut advenir, cela demande de « dépasser la crainte et l’angoisse d’être déconsidéré et de surmonter le vide de la rupture des liens pathologiques qui s’étaient structurés. »

Il lui aura fallu cinq mois pour sortir de l’emprise et encore quelques mois pour prendre la distance nécessaire qui lui permettra de déposer plainte en 2007.

(Source : Nouvel Obs, 21.05.2015)