Qu’elles émanent de Paulo Coelho ou du professeur Michel Lejoyeux, les formules « magiques » pour trouver le bonheur sont économiquement rentables pour leurs auteurs. « Promesses messianiques ou tyrannie moderne », ces poncifs mielleux pullulent et font florès auprès d’un public prêt à tout croire pour suivre le diktat du bonheur à tous prix.
Qu’importe la source : ouvrages, vidéos, conférences, pages Facebook… Parmi les ouvrages les plus plébiscités, Les Quatre Accords toltèques, la voie de la liberté personnelle, de Don Miguel Ruiz censé nous débarrasser des « croyances limitatrices qui nous privent de joie » ou encore les livres d’Eckhart Tolle1, l’une des stars du développement personnel. Les podcasts, Trois minutes à méditer de Christophe André sur France Culture, comptent un million de téléchargements. « Antisèches du bonheur » comptent quant à elles 170 000 abonnés sur Facebook. Les éditeurs surfent aussi sur la vague : Larousse mise sur les ouvrages de développement personnel, un département que sa direction qualifie d’ « incontournable ».
Selon Nicolas Marquis, auteur de Du Bien-être au marché du malaise1, ce mouvement est issu de la pensée positive, courant né en 1998 au sein de l’Association américaine de psychologie. Son concept : « chacun peut réinventer sa vie et atteindre le meilleur de lui-même en adoptant un regard positif sur soi et le monde ».
Edgar Cabanas et Eva Illouz, auteurs de Happycratie, comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies2, dénoncent une récupération idéologique : « Le capitalisme du XXIe siècle s’est emparé du bonheur et en a fait son produit-phare. Il vise à nous convaincre qu’on peut s’améliorer jusqu’à la mort, à grands coups de coaching, de méditation de pleine conscience. Le bonheur n’est plus une émotion, il a été transformé en mode de vie où vous vous imposez à vous-même l’injonction de performances, et vous vous vendez comme une marque. » Nicolas Marquis le résume ainsi : « C’est une injonction de riche : choisir sa vie, il faut pouvoir se le permettre ! »
Dans l’empire économique de la Silicon Valley, « un salarié heureux est un salarié efficace ». L’entreprise fait ainsi peser le poids de sa propre réussite sur les épaules de sa « main d’oeuvre ». Les entreprises françaises ne sont pas en reste. Pour surfer sur cette « positive attitude », elles peuvent requérir les services de Positive Solutions, une agence qui promeut les « penseurs positifs qui visent à améliorer le monde » ou encore de L’Optimisme, une « plateforme internet 100 % positive » voulant « remettre le meilleur de l’humain en avant », et bien d’autres encore.
La recherche du bonheur est universelle. Il n’existe pas à proprement parler de typologie du public influencé. Nicolas Maquis a cependant identifié un trait commun : le point de bascule. Il est toujours associé à un évènement malheureux, une brèche dans la vie de ces adeptes du bonheur à tout prix, « un moment où ils sentent les choses leur échapper et ont l’impression que les ressources classiques, psy ou entourage, sont insuffisantes. »
Et le point commun des « magiciens » du bien-être est la recette de leur potion : enseignements pseudo-bouddhistes mêlés à un zeste de spiritualité new age ou encore de croyance protestante. Edgar Cabanas le confirme : « Des fondations religieuses importantes financent les travaux de la psychologie positive. Il ne faut pas l’oublier quand on lit des études pseudo-scientifiques et très biaisées selon lesquelles les croyants seraient plus heureux. »
Ces promesses d’évolution spirituelle peuvent prendre la forme de stages comme celui d’un coach qui, moyennant 750 euros (hors hébergement) propose un programme à base de « lois de l’univers », de numérologie, de psycho-généalogie et de programmation neurolinguistique.
Mais cette frénésie ne pousse-t-elle pas à renoncer à la mobilisation, à la révolte ? Pour Edgar Cabanas, ce phénomène profite « à ceux qui ont intérêt à tuer la volonté politique, à désactiver notre engagement ».
(Source : Néon, décembre 2018)
1. Ed. Puf, 2014
2. Ed. Premier Parallèle, 2018. Lire sur le site de l’Unadfi : https://www.unadfi.org/bibliographie/happycratie-comment-lindustrie-du-bonheur-a-pris-le-controle-de-nos-vies/