Happycratie, comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies

Happycratie, l’essai des sociologues Edgar Cabanas et Eva Illouz, dénonce « l’industrie du bonheur » promue par la psychologie positive. Née aux États-Unis dans les années 1990, la psychologie positive repose sur l’idée simpliste que tout un chacun peut changer sa vie et s’améliorer en adoptant « un regard positif sur soi et sur le monde environnant ».

Si jusqu’ici on considérait que le bonheur résultait, pour chacun, de l’addition de moments heureux, pour la psychologie positive, la vie ne récompense que ceux qui sont positifs et qui croient en leur potentiel.

Une injonction au bonheur dont certains ont bien compris l’intérêt commercial et à laquelle ils répondent en proposant des produits censés aider à atteindre ce but. En plein boom, ce marché des « emotidies », contraction des termes « emotion et commodities » (marchandises), ne cesse de se diversifier et ses promoteurs usent de toute la panoplie existante pour toucher un large public : thérapies, livres, stages, applis…

Promesses qui tiennent de la chimère, « ces produits contribuent […] à faire de la poursuite du bonheur un style de vie, une manière d’être et de faire, une mentalité à part entière ». Selon les auteurs, ses adeptes ne consomment plus pour s’élever socialement, mais pour apprendre à « réguler leur vie émotionnelle » en se recentrant sur leur « vie intérieure ».

Selon leurs promoteurs, les « emodities seraient les outils les plus efficaces de réussite », pire, « les soutiens indispensables pour se maintenir à flot dans un contexte socioéconomique dégradé ».

Pour les auteurs, ces marchandises émotionnelles sont celles qui ont le plus d’affinités avec la flexibilité imposée par le durcissement du marché du travail depuis la crise de 2008. Il faut être en mesure de faire « preuve d’enthousiasme, de positivité » quelles que soient les circonstances et ne pas montrer de signe de faiblesse sous peine d’être tenu pour responsable des éventuels dysfonctionnements de l’entreprise, sans prendre en compte la conjoncture économique.

Face aux incertitudes que font peser le monde du travail et le regard peu complaisant de la société sur l’échec, « l’industrie du bonheur » donne à certains « le sentiment de retrouver prise sur leur vie ». En faisant porter à eux seuls toute la responsabilité de leur bien-être, elle créé un réel sentiment de culpabilité en cas d’insuccès. Les auteurs craignent que les individus uniquement centrés sur eux-mêmes ne pensent que « leur destin est une simple affaire d’effort personnel et de résilience » et risquent d’hypothéquer la possibilité d’un « changement sociopolitique ».

(Source : Slate, 23.08.2018)

  • Auteur : Edgar Cabanas, Eva Illouz, traduit de l’anglais par Frédéric Joly
  • Editeur : Editions Premier Parallèle
  • Date de publication : 01/08/2018