L’« antipsychiatrie » et la psychothérapie institutionnelle

Arthur Mary, psychologue clinicien, docteur en psychopathologie clinique (chercheur)

La psychothérapie institutionnelle se comprend au regard de l’état de la psychiatrie au milieu du XXe siècle. En Europe et aux états-Unis, un certain nombre de psychiatres et philosophes vont en effet remettre en question la façon de traiter la folie en institution, en particulier son extrême médicalisation et les formes de stigmatisations sociales de la folie ; on a ainsi pu parler de mouvements « antipsychiatriques ».

En Italie, Franco Basaglia, psychiatre à Trieste influencé par les philosophes Heidegger, Sartre ou Foucault, marqué par les prises de position du psychiatre hongrois Thomas Szasz, et promoteur de la psichiatria democratica, s’opposera aux logiques asilaires de son pays jusqu’à promouvoir la « loi 180 » de 1978 qui abolit désormais en Italie toute institution asilaire (la loi n’est totalement appliquée que depuis 1994).
 

Aux États-Unis, Thomas Szasz qui enseignait la psychiatrie à l’Université de New York, critiquait les internements psychiatriques sans consentement ainsi que l’idée de « maladie mentale » (il distinguait les maladies neurologiques, des problématiques existentielles dont il déplorait qu’elles fassent l’objet d’un traitement pharmacologique). Il est à noter que la Scientologie a épousé la cause antipsychiatrique de Szasz en s’associant à ses prises de position et en fondant avec lui le Citizens Commission on Human Rights International – cependant, sur son site internet, le psychiatre hongrois avait tenu à marquer sa distance d’avec
la Scientologie.

En France, Francisc Tosquelles, psychiatre catalan républicain ayant fui le franquisme, met sur pied avec d’autres la psychothérapie institutionnelle à l’hôpital de Saint-Alban. Les influences théoriques s’appuient principalement sur Freud (et Lacan) et Marx pour penser simultanément l’aliénation psychique (au niveau de la personne) et l’aliénation sociale (au niveau du groupe) qui sont intimement liées. Ce courant théorique est en tout cas centré sur la question de la folie (la psychose) et s’applique à inventer des réponses thérapeutiques qui ne réduisent pas la souffrance psychique ou existentielle à une maladie. Il est notable que les cliniques ou hôpitaux se référant à la psychothérapie institutionnelle font alors disparaître les signes qui distinguent les soignants des soignés (le médecin et le personnel ne portent donc pas la blouse blanche) afin que ne se répètent pas les logiques de domination sociale à l’oeuvre dans la société. L’une des idées importantes de la psychothérapie institutionnelle consiste à voir l’institution comme un organisme malade qui doit être soigné si l’on veut qu’il soit psychothérapique, tout le collectif institutionnel (soignants, malades, personnels d’entretien, cuisiniers, etc.) se mettant au service du projet thérapeutique. Autrement dit, se formule aussi l’idée du groupe comme susceptible d’être pathogène ou d’entretenir la détresse psychique des membres du groupe. On le voit, les concepts de ce courant de pensée de la psychiatrie française pourraient bien permettre de rendre compte de l’institution sectaire, des formes pathologiques du lien social sectaire. On pourrait ainsi formuler comme hypothèse qu’un collectif institué par un gourou psychotique (paranoïaque, mégalomane, mélancolique, etc.) pourrait bien être un collectif en souffrance psychique et sociale dont les adeptes, parce que membres du groupe, seraient en situation de participer à un délire qui n’est pas le leur (ou pour le dire autrement, l’institution d’une secte revient à produire les conditions asilaires d’une aliénation psychique et sociale).

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