Canada / Décès par sudation de Chantal Lavigne : le procès

Au Canada, Gabrielle Fréchette, Ginette Duclos et Gérald Fontaine sont accusés de négligence criminelle ayant causé la mort de Chantal Lavigne et des lésions à Julie Théberge, à la suite d’une séance de sudation baptisée « mourir en conscience ». Leur procès vient de se terminer au terme de huit jours d’audience au tribunal de Drummondville (Québec). Il a dû faire la preuve que l’activité était objectivement dangereuse et qu’elle s’est déroulée sans avoir pris les précautions nécessaires pour assurer la sécurité des participants.


Le 29 juillet 2011 devait être la journée phare d’un stage de quinze jours organisée par Gabrielle Fréchette sur l’ancienne ferme Reine de la Paix à Durham-Sud. Le groupe de stagiaires, composé de neuf femmes et hommes venant de Québec et de France, avait effectué la veille une marche de 12 km. Allongés sur des matelas, les participants ont été invités à s’enduire de boue, à se couvrir de bâches en plastique et de plusieurs couvertures avant de se mettre la tête dans une boîte en carton afin de provoquer une hyperventilation.

Sur un enregistrement de la séance de sudation, on entend la chamane donnant ses directives aux participants sur un ton théâtral : « Vous baignez dans la lumière, vous êtes dans le corps de la lumière, la dimension de l’âme, renoncez à toute sensation, adhérez à la légèreté ». Elle leur explique : « Passez du corps de la lumière au corps de la consécration, laissez-vous guider au-delà des portes de l’esprit. Nul ne peut accomplir le passage de la mort pour vous. La mort, c’est la liberté, c’est la vérité, le retour à Dieu ». Ses directives sont entrecoupées de cris et de gémissements. S’adressant à ses deux complices, elle leur indique « Vous les momifierez, l’expérience devrait durer entre dix et quatorze heures, on va s’ajuster au fur et à mesure. Prévoyez des collations et l’eau pour vous, pour eux, rien du tout. »

Après la séance, alors que Chantal Lavigne semblait aller bien, Julie Théberge présentait des signes alarmants : vomissements, main droite crispée. Chantal Lavigne parlait seule et à très haute voix mais Gabrielle Fréchette a estimé que c’était son comportement habituel : « elle affichait un air de béatitude, de satisfaction. Elle avait coutume d’aller très en profondeur dans son introspection ». C’est donc pour Julie Théberge que Gabrielle Fréchette a initialement contacté les secours. Les bandes sonores des services médicaux d’urgence ont révélé qu’elle avait passé trois appels en quatorze minutes, avec un calme déconcertant.
Julie Théberge s’en est sortie après un court séjour à l’hôpital. Chantal Lavigne est morte par asphyxie et hyperthermie.
 

Chantal Lavigne était une mère de famille résidant à Saint-Albert. Son mari raconte que son épouse a fait la rencontre de Gabrielle Fréchette en octobre 2007. Elle lui vouait une grande admiration. Elle avait intensifié le rythme des formations avec la chamane pour devenir à son tour guide spirituel. Pour réaliser ce projet, elle avait pris une année de congé sabbatique. Ces multiples formations engendraient des tensions dans le couple : elle s’absentait régulièrement et selon son mari, « négligeait ses responsabilités parentales ». La famille subissait également le coût de ces formations ; Chantal Lavigne a laissé un découvert de 28 000 euros.

 
Au cinquième jour du procès, Gabrielle Fréchette a tenté de se justifier devant la cour. Elle s’est définie comme une guide spirituelle ayant découvert sa vocation après une expérience de mort imminente. Elle a alors découvert qu’elle était dotée d’une force et d’une paix intérieure inexplicables. Elle se présente comme médium « qui accueille l’énergie » et prend, « lors d’une montée de son taux vibratoire » l’entité de Melchisédech, Lucas et l’archange Michaël. Afin de justifier ses connaissances, elle assure avoir suivi de nombreuses formations depuis le début des années 1990. Elle a rencontré des « guérisseurs aux mains nues » aux Philippines, suivi des cours de reiki et d’autres pratiques avec Marie-Lise Labonté. Enfin, elle aurait appris les rudiments des « huttes de sudation » auprès de Patrick Dacquay, chaman français « officiant » en Bretagne. A la question de la procureure sur les diplômes délivrés par ceux auxquels elle fait référence, Gabrielle Fréchette répond qu’elle ne se préoccupe pas de cela ; elle ne croit pas « qu’il puisse y avoir une université pour apprendre » à gérer les vies, les émotions. Elle ne se préoccupe pas non plus des histoires d’argent : le stage lui aurait rapporté 8 500€ mais elle affirme ne gagner que 12 000€ à 12 500€ par an. Cette question est donc restée floue.

Pour sa défense, Ginette Duclos a dit qu’elle se contentait d’obéir aux commandes de Melkisedeck. Avec Gérald Fontaine, elle était chargée d’envelopper les participants et de surveiller leur respiration durant la séance en « hutte de sudation ».
 
Pour la procureure de la Couronne, il ne fait pas de doute que les trois accusés ont fait preuve d’une négligence criminelle. Elle a relevé les contradictions dans les témoignages concernant les consignes sur la façon de se nourrir, de s’hydrater ou de se reposer. Elle a mis en avant le manque de connaissances médicales flagrant des trois responsables. Aucun d’entre eux n’était en mesure d’identifier les symptômes que présentaient les deux femmes, « la preuve de leur ignorance est qu’ils étaient plus préoccupés par Julie Théberge que par Chantal Lavigne, alors que son cas était plus grave. » Pour la procureure, le lien entre la séance de sudation et les problèmes physiques qui ont suivi est évident. Elle conteste également l’idée que les responsables n’auraient rien à se reprocher au prétexte que les participants étaient libres et consentants.

Le jugement sera rendu le 8 décembre 2014.

(Sources : TVA Nouvelles, 14 et 15.10.2014 & La Presse, 14 et 30.10.2014 & Journal de Montréal, 21.10.2014 & La Nouvelle Union, 30.10.2014)