Dans une chronique publiée dans le Monde des religions, le journaliste indépendant Marc Bonomelli (auteur de Les Nouvelles Routes du soi paru aux éditions Arkhê) analyse les trajectoires entremêlées des nouvelles spiritualités et des théories conspirationnistes.
Leur point commun ? Les deux partagent une méfiance envers les institutions modernes (médecine, médias, politique…) et anciennes (l’Église par exemple). Selon Marc Bonomelli, les adeptes des spiritualités alternatives se tournent vers des théories complotistes pour expliquer notre monde et ses dérives. Le fabuliste britannique David Icke s’est ainsi fait connaître en martelant que les loges maçonniques et les Illuminati tirent, en cachette, les ficelles du monde. Et ces groupes seraient eux-mêmes pilotés par des entités extraterrestres. Selon eux, il faudrait donc s’éveiller spirituellement pour retrouver nos capacités et anéantir le règne des reptiliens qui se nourriraient de nos basses vibrations (peur, haine, violence).
Ces croyances ne sont pas aussi marginales qu’on pourrait penser. Et elles semblent même gagner du terrain. En 2011, les sociologues Charlotte Voas et David Ward ont inventé un mot pour décrire ce phénomène : la « conspirituality ». Ce néologisme est devenu populaire dans les années suivantes, puis s’est imposé chez nombre de commentateurs entre 2020 et 2022, lors de manifestations dénonçant la vaccination contre le Covid-19, où l’on a vu se côtoyer des complotistes populistes d’extrême droite avec des pratiquants de yoga. En France, une étude IFOP (parue en 2020) notait des « trajectoires entremêlées » entre la croyance en des « para-sciences (voyance, sorcellerie, astrologie…) » et des théories du complot. A l’époque, un tiers des Français consultent leur horoscope tous les jours et croient à « au moins sept théories complotistes ». Selon l’institut de sondage, « il semble que ces deux phénomènes relèvent de mêmes leviers sociaux et comportementaux et répondent au même rejet de l’institution, qu’elle soit politique, médiatique ou religieuse… Et à l’idée que la vérité est ailleurs, hors des discours officiels ou scientifiques.
Pour le sociologue Galen Watts, « la pensée conspirationniste présente des affinités avec la spiritualité contemporaine. Les deux partagent une suspicion envers tout ce qui est décrit comme grand public. On ne pourrait trouver de vérité qu’en cherchant profondément par soi-même, et à l’intérieur de soi-même ». Mais il faut éviter les amalgames faciles. « Le complotisme s’occupe surtout de politique tandis que la spiritualité concerne davantage la sphère personnelle. Les conspirationnistes peuvent ainsi se montrer agressifs, tandis que les néo spirituels invitent davantage à une transformation intérieure, pacifique ». Le sociologue note par ailleurs que « le conspirationnisme est statistiquement plus masculin, alors que les nouvelles spiritualités sont davantage incarnées par des femmes ».
(Source : le Monde, 20.11.2024)