Une analyse du mode de pensée complotiste

Publié en mai, le livre du journaliste Anthony Mansuy,  Les Dissidents se penche sur ce qui a permis au complotisme d’imprégner l’ensemble de la société. Il aborde également la façon dont les « influenceurs complotistes » utilisent des techniques issues du marketing et de la communication pour capter leur audience. Dans un entretien publié par l’Express, le journaliste explique les idées défendues dans son ouvrage.

Anthony Mansuy explique avoir réalisé l’ampleur de la propagation des théories conspirationnistes en lisant sur des pancartes, lors d’une manifestation en juillet 2021, des slogans normalement réservés à la sphère internet. Il a alors compris qu’un bouleversement s’était opéré. Selon lui, le confinement et les différentes interdictions ont fait naître des « consommateurs » de complots s’attachant à comprendre le monde par le prisme de théories complotistes et de la pensée magique. Les théories complotistes ont dès lors cessé d’être exclusivement cantonnées aux réseaux sociaux pour s’afficher dans la sphère publique. Il identifie un dénominateur commun aux adeptes du complotisme, celui de la défiance. Et il estime qu’aucune frange de la population n’est plus encline qu’une autre à adhérer au complotisme, tout personne étant portée à avoir des incertitudes de tous ordres.

Selon lui, utiliser les termes « conspirationniste » et « complotiste » pour désigner une personne est avant tout une manière de dénigrer des croyances que l’on rejette. Ces termes sont bien souvent utilisés comme des marqueurs sociaux : ils caractérisent dans la majorité des cas des personnes issues de classes sociales inférieures.  Cependant, le complotisme est plus large et cette idée trop restrictive.

Il a été observé que la politique internationale est de plus en plus souvent étudiée à travers un prisme complotiste. L’auteur du livre considère que cela est en partie dû à la multiplication des médias et influenceurs conspirationnistes lors de la pandémie de Covid-19. De nombreuses personnes ont utilisé les réseaux sociaux ou de nouveaux médias internet pour s’informer. Or, derrière ces comptes se cachent de véritables hommes et femmes d’affaires qui s’inspirent du marketing et la communication. Car leur objectif est bien de capter leur audience le plus durablement possible. La stratégie est toujours la même : proposer une analyse de l’actualité qui détonne par rapport à celle proposée par les médias traditionnels. Une fois son attention retenue, le lecteur se voit proposer de s’abonner, d’acheter tel ou tel produit dérivé, ou de faire une offre de don.

L’auteur s’interroge sur le traitement par les médias traditionnels du phénomène complotiste, le jugeant parfois contre-productif lorsque « l’effroi », « l’indignation » ou la quête du sensationnalisme prend le pas sur les véritables problématiques à étudier. Cela amène en fin de compte certains sceptiques à se radicaliser davantage sur leurs croyances, jusqu’à se revendiquer fièrement comme complotiste.

Enfin, il regrette qu’en France la problématique ne soit abordée qu’à travers les notions d’esprit critique et de façon de consommer l’information. Ne niant pas la nécessité de former à l’esprit critique et à l’éducation aux médias, il pense qu’il faut néanmoins explorer une autre notion, celle de la quête de sens. La vie de la plupart des personnes interrogées pour son livre « se résume à métro-boulot-dodo. Ils n’en voient plus l’intérêt. » Ces personnes sont animées par un grand sentiment d’injustice quant aux scandales politiques, financiers, pharmaceutiques ou environnementaux. La politique a un rôle à jouer, celui de rétablir le dialogue afin de redonner confiance dans les institutions. L’entretien se termine sur la question des journalistes. Selon Anthony Mansuy l’extrême défiance qui existe envers ce métier appelle à une remise en question et à rediscuter le « modèle économique de la presse et notamment la concentration des médias et leurs liens avec des grands groupes industriels ». 

(Source : L’Express, 16.06.2022)

  • Auteur : Unadfi