Théorie du complot ou l’asile de l’ignorance

Un récent sondage1 montrait qu’un français sur cinq croit aux Illuminati2. Cette croyance a en commun avec les autres théories du complot de prétendre que « LA vérité est ailleurs » et que le discours officiel cache d’inavouables complots qu’il faut décrypter. Ces théories sont malheureusement le refuge de l’ignorance, face à un monde complexe, et trouvent de plus en plus d’adeptes.


La théorie du complot est une manière de donner une mauvaise réponse à une bonne question, de substituer une dénonciation d’ennemis imaginaires à l’analyse des idées. Le complotiste va préférer le simple et l’homogénéité au complexe et à l’hétérogénéité. Mais la société est complexe, elle est plurielle et ne peut offrir de réponses claires, d’harmonie des idées et des individus qui la composent. La théorie du complot s’insère entre le discours dominant et son opposé qui, eux, supportent la critique. Elle « surfe sur l’angoisse d’un monde qui nous échappe. » Elle prétend montrer l’envers du décor « lieu où tout se décide selon d’inavouables intentions ».

Les conspirationnistes n’ont souvent « aucune connaissance réelle des fonctionnements sociaux, politiques et économiques dont ils parlent ». Ils n’apportent aucune preuve de ce qu’ils avancent mais font peur en évoquant des êtres pervers fantasmés formant un groupe homogène « animé par un puissant désir de domination » : les Juifs, les Illuminati, les Francs-Maçons… 
Cette posture intellectuelle relève du délire d’interprétation. L’analyse complotiste est régie par une obsession de la méfiance. Elle renvoie systématiquement à « une méchante conspiration responsable de tous les maux qui nous accablent » ; tout fait peut constituer une preuve, une confirmation du complot. Ses discours fonctionnent dans un ordre symbolique : « repérage des bons et des mauvais, recherche des formes ou des actions significatives, mise en évidence des petits signes, indices d’une intention cachée ».
Les délires complotistes ne sont pas issus d’analyses ou d’explications mais d’interprétations, de superstitions bien éloignées des exigences propres à l’établissement de la connaissance.
La seule arme contre le complotisme est la réactivation de l’esprit critique en s’intéressant à la manière dont s’immiscent et s’intériorisent progressivement les croyances. La pensée critique nous montre que tout est visible à condition d’avoir accès à l’information et de fournir l’effort nécessaire pour s’informer et questionner. 

(Source : Mediapart, Pierre Crétois, 30.12.2014)

1- Enquête exclusive réalisée en mai 2014 par IPSOS pour Fleuve Editions sur un panel de 1 500 individus de 15 à 65 ans.
2- « Secte dissoute à la fin du XVIIIe siècle qui a été mise à l’honneur dans le roman Anges et démons de Dan Brown et dont le nom vient certainement des Lumières et se confond souvent avec la Franc-Maçonnerie qui représente, elle, un ensemble d’organisations réelles et plus ou moins discrètes ».