QAnon prend de l’ampleur

La genèse

4 décembre 2016. Edgar Madison Welsh, un père de famille croyant de Caroline du Nord, s’est rendu chez Pizza Comet à Washington lourdement armé pensant libérer des enfants qui y seraient détenus pour servir un réseau pédophile lié à l’establishment démocrate. Cette théorie du complot connue sous le nom de Pizzagate serait née du piratage d’un échange d’e-mails entre John Podesta (dirigeant la campagne d’Hillary Clinton) et James Alefantis (propriétaire du restaurant) concernant une collecte de fonds. Des complotistes pro Trump, tels que Alex Jones connu pour son site Infowars ou Mike Cernovichn, ont rendu virale cette théorie d’abord publiée sur le réseau social 4chan. Welsh a découvert les vidéos et s’est convaincu de la véracité de leurs propos. Mais une fois dans la pizzeria, il a dû reconnaître son erreur. Il s’est rendu à la police et a écopé de quatre ans de prison.

Mais cela n’a pas freiné la progression de la théorie. Les allégations contre Clinton et les démocrates ne faisaient qu’empirer sur Reddit et 4chan lorsque, en 2017, Q a commencé de poster des messages alarmistes annonçant une arrestation imminente d’Hillary Clinton et de violentes émeutes à venir. Il prétendait aussi détenir les preuves d’un trafic d’enfants impliquant plusieurs grands dirigeants corrompus et alléguait que Trump travaillerait sans relâche pour les empêcher de nuire. Rien n’a eu lieu. Mais Q a poursuivi ses prédictions, laissant entendre que sa profession lui permettait d’accéder à des informations classifiées, si bien que sa popularité est allée grandissante grâce au soutien d’autres conspirationnistes… qui ont aussi profité de son succès sur le web.

Le discours de Q

Les théories diffusées par Q ont pris le nom de Q Anon (mot valise créé à partir de la lettre Q et de l’abréviation de « anonymous ») et trouvent un large écho sur internet. L’arrivée du coronavirus n’a fait qu’accentuer cette tendance. Depuis le début de l’épidémie, ses tenants se déchaînent, lançant les théories les plus farfelues sur les réseaux sociaux, comme celle qui prétend que le virus est un complot ourdi par les élites anti Trump pour empêcher sa réélection. Voyant le profit personnel qu’il pouvait en tirer, Trump a pris le parti de les relayer.

Entendant démontrer que le monde est dirigé par des élites corrompues qu’il « faut éliminer », Q, est aussi l’annonciateur d’un grand réveil, d’une apocalypse imminente qui ne pourra avoir lieu qu’avec le soutien de vrais patriotes. Pour ses adeptes il n’est pas complotiste et porteur de mauvaises nouvelles. Pour ceux qui souffrent du système, Q « est la prédiction des choses à venir », il représente l’espoir dans l’avènement d’un monde meilleur. Ses adeptes ne s’informent plus aux sources officielles, ils préfèrent croire en ses prédictions même si elles se révèlent fausses, la tromperie faisant partie de son plan. Croire en Q nécessite de rejeter les institutions gouvernementales, de mépriser la presse, de lutter contre ceux qui s’opposent à lui.

Les discours de Q s’apparentent à des prêches et sont perçus comme de véritables révélations par ses adeptes qui recherchent dans tout événement des signes confirmant leurs croyances. Certains ont créé des calendriers circulaires (les Q clocks) sur lesquels sont consignées toutes les dates des révélations, ils les utilisent comme outil de divination pour déceler dans les discours de Q les indices annonçant la fin des temps.

Depuis le début de la pandémie ses publications se font quasi mystiques. Pour exemple, une série de messages publié le 9 mars, dont le premier était une citation de Trump « Rien ne peut arrêter ce qui va arriver », « Le grand réveil est proche » et « Dieu gagne ». Il jette aussi de l’huile sur le feu contre les démocrates et pousse ses adeptes à la révolte en citant des versets de la Bible pour appuyer ses propos belliqueux.

Qui sont ses adeptes ?

Dénombrer le nombre d’adeptes de Q Anon est difficile, mais ils sont très nombreux et actifs sur toutes les plateformes sociales, Facebook, Tik Tok, Twitter, où leurs publications recueillent des millions de vues.

Les adeptes de Q ont pour la plupart découvert ses théories par hasard sur internet. Pour l’adepte ferré par ses révélations, la phrase « faites vos propres recherches. Ne prenez rien pour argent comptant » fait mouche et pousse certains à faire davantage d’investigations et à entrer dans une sur-consommation de ses théories. L’une de ses adeptes raconte avoir passé plus de 6 heures par jour à l’étudier. Ils sont dévoués à ses thèses et sont attirés par le sentiments d’appartenir à une communauté d’initiés détenant des connaissances secrètes.

Pour les adeptes de Q Anon, le sentiment d’appartenance est renforcé par l’utilisation d’un langage accessible aux initiés. Le « château » désigne la maison Blanche, « les miettes » sont les indices. Ils utilisent aussi beaucoup d’acronymes comme leur cri de ralliement WWG1WGA (« Où l’un d’entre nous va, nous y allons tous »,) et des leitmotivs tels que « Rien ne peut arrêter ce qui vient », « faire confiance au plan » ou encore « le calme avant la tempête ».

Les profils sont très variés. La majorité sont des anonymes déçus du système qui ne font plus confiance aux élites. Certains sont devenus célèbres en reprenant à leur compte et en relayant les messages de Q. Ainsi David Hayes, connu sous le pseudonyme PrayingMedic, compte plus de 300 000 abonnés sur Twitter et YouTube où ses vidéos ont été vues plus de 33 millions de fois. Affirmant avoir reçu un appel de Dieu qui l’aurait conduit à Q, il ne se consacre plus qu’à promouvoir son message dont il tire au passage ses revenus.

Durant le confinement, Q Anon a encore pris de l’ampleur et a vu surgir de nouveaux types de sympathisants parmi lesquels on trouve des « influenceurs bien-être » qui se sont donnés pour mission d’informer leurs followers, ou des personnalités politiques, à l’image de Jo Rae Perkins. Cette dernière, qui se revendique ouvertement Q Anon, vient de remporter la primaire républicaine pour le poste de sénateur de l’Oregon. Sans être adepte du mouvement, Donald Trump utilise le discours anti démocrate de Q à ses propres fins politiques.

Qui est Q ?

Sur la sellette, Q a par précaution multiplié les blogs, sites web, Facebook. Même des journaux comme Epoch Times relaient ses théories. Cette stratégie s’est révélée utile lorsque 8chan, la plateforme sur laquelle il avait migré depuis que 4chan a été fermée suite à plusieurs meurtres de masse dont les auteurs avaient posté des publications sur le site avant leur passage à l’acte. Grâce à l’aide d’un hébergeur russe, le site est réapparu sous le nom de 8kun et on y trouve à nouveau les publications de Q. La proximité entre 8kun et Q est si forte que certains supposent que son propriétaire, Jim Watkins, serait l’un des rares à connaître la véritable identité de Q.

Les spéculations en ce qui concerne l’identité de Q sont nombreuses, même dans les rangs de ses partisans. Certains pensent qu’il s’agit d’une seule personne, tandis que d’autres imaginent que plusieurs personnes ont successivement publié sous ce pseudonyme, d’autres encore soutiennent que Q est un collectif.

Mais savoir qui est Q n’a que peu d’importance pour ses adeptes, le mystère lui confère une aura divine. « Q Anon perpétue une tradition de pensée apocalyptique », pensée qui selon l’historien Norman Cohn a de tous temps « émergée dans les régions où se produisent des changements sociaux et économiques ».

Une organisation dangereuse

Q Anon est emblématique de la sensibilité de l’Amérique aux théories du complot. « C’est un mouvement uni [de croyants] dans le rejet de la raison, de l’objectivité et d’autres valeurs des Lumières » qui met aussi en avant le pouvoir d’internet dans sa capacité à saper la société civile et la « gouvernance démocratique ».

Le danger de ce mouvement est concret, et le FBI craint un passage à l’acte, si bien qu’on l’a classé comme une menace terroriste. Selon l’organisme d’État, « les théories du complot attisent la menace de violences extrémistes », en particulier de prétendus chercheurs de vérité ciblent des individus accusés à tort d’être impliqués dans un projet nuisible.

Ses partisans sont connus sur internet pour leurs attaques féroces contre les sceptiques, mais aussi pour leur incitation à la violence physique.

(Source : The Atlantic, juin 2020)

  • Auteur : Unadfi