L’influence de Guylaine Lanctôt

Les récents discours antivax ont remis sur le devant de la scène le personnage de Guylaine Lanctôt, source d’inspiration de nombreux conspirationnistes. Cela fait plus d’une trentaine d’années qu’elle diffuse son message antivaccin et anti-institutions.

Avec la pandémie, Guylaine Lanctôt a multiplié les séminaires, les présentations ou encore sa présence dans des vidéos. Ses propos, qui inquiètent les professionnels de santé, sont repris par de nombreux conspirationnistes antivaccin.

Guylaine Lanctôt est une médecin québécoise déchue. Radio Canada a enquêté sur elle et s’est infiltré dans une de ses sessions de développement personnel. Durant les trois jours, elle a expliqué que le but de la vie était de devenir un être souverain libéré de tout attachement matériel ou social. Elle-même a renoncé à ses rôles de citoyenne, de mère et de contribuable.   Selon elle, il faut abandonner les institutions financières, elle encourage aussi à quitter le système de santé. Sans conteste New Age, sa doctrine prône la transformation de l’être humain en un être souverain et libre. Ses enseignements comportent des risques pouvant entrainer la mort notamment par l’arrêt des traitements et des médicaments. 

Connue par son livre La mafia médicale dans les années 1990, elle semble bénéficier d’un regain de popularité à Guylaine Lanctôt grâce à la pandémie. Trouvant un nouveau public dans les sphères conspirationnistes, ses théories sur la maladie et le vaccin l’amènent à être citée ou invitée par des personnalités connues dans le milieu complotiste. Elle y partage ses idées empreintes de New Age comme le fait que le vaccin sépare le corps de l’âme ou que les virus seraient simplement un rejet des choses dont le corps n’a plus besoin. Elle a par ailleurs multiplié la publication de nouveaux livres et carnets présentant sa doctrine sur la santé, la société, la loi ou encore l’éducation. Son calendrier de conférences s’est largement rempli à la suite de la pandémie. Ses propos sont aussi mêlés à des idées répandues dans la sphère QAnon.

Le Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation a publié au début de l’année 2022 un rapport sur les discours complotistes qui se sont répandus au Québec durant la pandémie. On y retrouve Guylaine Lanctôt clairement identifiée comme l’un des fers de lance du mouvement New Age en ce qui concerne la santé. Du côté du Centre de la prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV) on constate que les idées sur la santé véhiculées par Lanctôt peuvent conduire des personnes à une radicalisation. Les individus vont adhérer à des principes allant à l’encontre de la médecine pouvant être dangereux. Les personnes se tournant vers ces idéaux sont bien souvent dans une période de questionnement ou de vulnérabilité.

Des témoignages accablants

L’été dernier, un chanteur québécois est décédé du sida. Il avait abandonné sa trithérapie après avoir découvert une théorie indiquant que le sida n’est qu’une invention pharmaceutique pour engranger des profits. Il est alors entré en contact avec Lanctôt qui lui a envoyé des articles démontrant « la fraude du VIH ». Dans un courrier, elle lui précisait que le VIH lui aurait été injecté par l’entremise d’un vaccin contre l’hépatite B et ne l’encourageait pas à suivre son traitement. Les proches du chanteur ont compris qu’il ne faisait confiance qu’aux idées de Lanctôt et ses disciples ; ils racontent qu’avant de mourir il se soignait avec des solutions d’eau salée, des suppléments alimentaires et des laxatifs.

Radio Canada a pu parler avec d’autres proches de victimes des théories de Lanctôt, qui témoignent que ces théories ont conduit à la mort de leurs proches. L’un a perdu ses deux sœurs. La plus grande ayant lu La Mafia médicale était convaincue que tout était une arnaque et que les médicaments ne servaient qu’à enrichir l’industrie pharmaceutique. Elle a transmis ses théories à son autre sœur.

Une autre victime témoigne qu’après la lecture de l’ouvrage elle a changé radicalement son mode de vie :  rejetant alors les vaccins pour ses enfants et se tournant vers des remèdes naturels. Elle n’a changé de point de vue qu’après avoir appris la leucémie de son fils mais il lui a fallu un long parcours psychiatrique pour abandonner de manière définitive ses croyances.

Les familles sont démunies face au peu de recours contre ce type d’agissements et de dérives. Elles aimeraient que la population soit protégée de ce type de gourou criminel. Du côté du collège des médecins, une ancienne membre regrette que, malgré sa radiation, Lanctôt continue de sévir dans le milieu de la santé alternative et estime qu’elle devrait être sanctionnée pour exercice illégal de la médecine.

Le parcours de Guylaine Lanctôt

Dans les années 1980, alors spécialiste en phlébologie, elle était considérée comme une experte dans son domaine. Possédant plusieurs cliniques au Canada et aux Etats-Unis, elle était alors perçue comme une médecin renommée possédant un bon sens du business. En 1992, elle explique qu’à la suite d’une conférence en France elle découvre le mouvement antivaccin. Elle débute alors la rédaction de son ouvrage La mafia médicale. Le livre est publié en 1994 et constitue la pierre angulaire de sa doctrine. Elle y critique fortement les vaccins qui seraient responsables de l’épidémie de sida et pourraient causer l’autisme. Elle dénonce l’establishment médical qui serait à la solde des industries pharmaceutiques. Au-dela d’un simple livre antivaccin et prônant une santé alternative cet ouvrage est clairement anti-institution. Les institutions de santé canadiennes décident d’intervenir estimant que l’ouvrage constitue un danger public dans le sens où il empêche les enfants d’être protégés et pousse les individus à l’abandon des traitements. Le Collège des médecins examine les failles dans le raisonnement de Lanctôt. En 1997, le comité tranche sur le fait qu’elle trompe le public par la communication d’informations inexactes et contraires aux données de la science et que ses opinions portent préjudice à la santé et au
bien-être public. Elle est alors radiée de façon permanente et perd ainsi son titre de médecin. Cette sanction rare montre l’ampleur de la situation.

Au-delà des soucis avec les institutions de santé, Guylaine Lanctôt a fait faillite. Avant la publication de son livre elle a tenté de vendre ses cliniques mais refusant les offres insuffisamment généreuses à son gout, elle est en faillite en 1995. Elle prétend alors ne plus rien avoir, ni propriété, ni droit d’auteur, ni cliniques. La justice constate que sa faillite est dûe à une insouciance et constate la disparition sans aucune explication de près de 200 000$ d’actifs. Dès lors, Guylaine Lanctôt cesse de se soumettre ses déclarations d’impôt, renie les institutions financières et se revendique citoyenne souveraine. Cela lui cause des problèmes avec la justice, elle purge une peine de deux ans de prison en 2008.

Devant les tribunaux, Guylaine Lanctôt a expliqué qu’elle refusait de participer au processus judiciaire, car elle ne s’identifiait plus comme Guylaine Lanctôt. Pendant les procédures, elle a même remis au juge un avis de décès annonçant le décès de cette dernière. Aujourd’hui, elle prétend lors de ses stages ne plus payer d’impôts et invite ses fidèles à faire de même en leur donnant des solutions pour se cacher du fisc, quitter les banques et avoir recours au travail au noir.  Elle explique aussi qu’il y a deux Guylaine Lanctôt : un être humain et une autre, créé par le gouvernement, qui doit payer l’impôt. Elle prétend ne plus posséder de biens, cependant selon l’enquête de Radio Canada la maison dans laquelle elle habite appartient à une associée de Lanctôt qui participe activement à la publication de ses livres et enseigne sa doctrine. Les profits dégagés par la vente des ouvrages ou encore les formations qu’anime Guylaine Lanctôt semblent difficile à évaluer. Son livre La mafia médicale a fait l’objet d’une réédition en 2021, elle publie de nombreux nouveaux ouvrages présentant sa doctrine et ses croyances. Ses stages sont encore régulièrement remplis. Elle d’un nouveau public issu des mouvements de contestation des mesures sanitaires. L’ensemble de ses rentrées d’argent lui permettrait de dégager un profit attrayant. Depuis plus de 30 ans, elle gravite autour des milieux antivaccin, New Age et complotiste, sa position d’ex-médecin lui conférant de plus une position d’autorité.  

(Source : Radio Canada, 03.03.2022)

  • Auteur : Unadfi