La variole du singe : recette pour élaborer un récit complotiste

Le nombre d’infectés à la variole du singe ne cesse d’augmenter. Si aucun décès n’est à déplorer, et qu’il y a très peu de cas graves, l’épidémie a donné lieu à un récit complotiste plutôt familier : tout était calculé.  A la base de ce récit, un authentique exercice de simulation mettant justement en scène une pandémie de variole du singe.

L’idée est la même que pour la pandémie de COVID-19 : l’épidémie de variole du singe a été planifiée par les élites mondiales afin qu’elles puissent continuer à imposer des restrictions liberticides sur la population. Pour certains, ce sont les vaccins contre le Covid-19 qui sont directement à l’origine de la variole du singe. Comme dans beaucoup de cas où une théorie du complot émerge à la suite d’un événement générant angoisse et inquiétude, le point de départ est une information authentique. En l’occurrence, il s’agit d’un document émanant du Nuclear Threat Initiative, un organisme qui étudie les scénarios sanitaires et militaires présentant un danger pour la planète. La NTI a élaboré en 2021 un de ces scénarios, utilisant la date du mois de mai 2022 et le pays fictif de Briana pour imaginer et examiner les dangers que ferait encourir à la population une épidémie de variole du singe. Alors que l’épidémie se développait rapidement au printemps dernier, ce document a été déterré et partagé sur les réseaux sociaux. Pour les complotistes, il constituait la preuve que la rumeur disait vrai : cette épidémie était prévue. De surcroît, la Fondation Bill et Melinda Gates, qui joue un rôle très important dans la lutte contre les épidémies mondiales, verse des financements à la NTI. Cette donnée, ainsi qu’un amalgame d’arguments pro-Trump, antisémites et anti-Big Pharma ont permis aux complotistes de garder leur cible favorite : le milliardaire et mécène Bill Gates.

Le fait est qu’il s’agit bel et bien d’une coïncidence. D’une part, ce type d’exercice de simulation est tout à fait courant. D’autre part, si la NTI a conçu ce scénario, c’est que l’organisme avait calculé qu’il serait hautement probable qu’il se concrétise. Le risque d’une flambée de la variole du singe (une maladie qui circule en Afrique depuis plusieurs décennies) était très réel et documenté.

Ce cas illustre parfaitement les ressorts de l’esprit complotiste : inverser la cause et l’effet et ne pas parvenir à percevoir une coïncidence, mais bel et bien un projet. La surinterprétation des choses et la surestimation de l’influence des mécènes servent une vision intentionnaliste du monde. C’est une aubaine pour les médias complotistes. Ainsi les sites Nexus, Résistance Mondiale ou encore 1scandal.com ont fait circuler ce fameux document, alimentant la suspicion. Dans le détail, la simulation ne correspond pas entièrement à ce qui s’est déroulé dans la réalité, mais dans la mesure où ces médias complotistes ont intérêt à capitaliser sur cette fausse information, ils ont complètement tu ces différences.

Une lecture complotiste de cette épidémie exclut l’analyse et l’exploration des véritables facteurs qui favorisent les zoonoses, les maladies transmises aux hommes par les animaux. Ces facteurs sont établis et observables, à savoir l’intensification des voyages, la déforestation, la multiplication des élevages industriels, le commerce et la consommation d’animaux sauvages. Tout cela contribue au déséquilibre des écosystèmes et favorise le déclenchement d’épidémies mais ne se prête pas à la « méthode » conspirationniste, qui consiste à systématiquement cibler des instances ou entités cachées dans l’ombre. 

(Sources : lemonde.fr, 08.06.2022 & rfi.fr, 10.06.2022)

  • Auteur : Unadfi