Croyances spirituelles et complotisme d’extrême-droite

Avant la pandémie, Rein Lively, jeune américaine d’une trentaine d’années, s’intéressait au domaine du bien-être : médecine naturelle, alimentation biologique, yoga, guérison ayurvédique, méditation… Les confinements successifs l’ont menée à passer davantage de temps sur internet, et plus particulièrement sur des sites de bien-être. Elle est alors happée dans des contenus de plus en plus liés au mouvement anti-vaccin et aux thèses de QAnon.

Les théories de QAnon, notamment celles qui dénoncent un vaste réseau pédo-satanique actif au niveau des élites mondiales, étaient à l’origine formulées par des partisans de l’extrême-droite américaine. Elles se sont peu à peu répandues sur des forums et sites internet consacrés au domaine du bien-être, fréquentés en majorité par des femmes. Rein Lively est l’une d’elles, elle s’est laissée petit à petit convaincre par ces théories qui, pour elle, tiennent du patriotisme et visent à protéger les enfants de ce fameux réseau pédophile et sataniste. Le 4 juillet 2020, elle a posté une vidéo qui est devenue virale : elle s’est filmée dans un magasin Target, saccageant les supports des masques buccaux, les jetant et les éparpillant avec colère sur le sol.

La relation entre conspirationisme et spiritualité n’apparaît pas d’emblée, mais la « conspirituality » (mélange de « conspiracy » et de « spirituality », que l’on pourrait traduire par « conspiritualité » ou « spiricomplotisme ») est devenue un courant à part entière. Ce terme a été inventé par les sociologues David Voas et Charlotte Ward en 2011 pour désigner le mariage entre les idéologies d’extrême droite, découlant d’une défiance envers les institutions, et les philosophies alternatives. Le mouvement est très présent en ligne, on peut trouver à côté d’une pub pour un pantalon de yoga des propos évoquant la « plandémie ».

Ce mariage s’est renforcé à la faveur de la pandémie. Rein Lively et sa vidéo devenue virale l’illustrent parfaitement : tombée dans un tourbillon d’informations, d’images et de discours complotistes, elle s’est sentie « poussée à aider les autres à se réveiller ».

Après le succès de cette vidéo, Rein Lively a dû être hospitalisée pendant dix jours suite au harcèlement subi sur les réseaux sociaux et à une demande de divorce de son mari. Des thérapeutes l’ont aidée à prendre conscience de vieux traumatismes, en particulier celui du suicide de sa mère lorsqu’elle était jeune. Elle reconnaît aujourd’hui qu’elle était très vulnérable et perturbée émotionnellement par les bouleversements dus à la pandémie, et a réalisé la facilité avec laquelle une personne peut tomber dans les pièges de l’industrie du bien-être et des théories pseudo-scientifiques, qu’elle dit maintenant « prendre avec des pincettes ».

Timothy Caufield, professeur de droit travaillant dans le domaine des pseudo-sciences, connu pour discréditer les conseils de santé alternative prodigués par les célébrités, voit le bon côté des choses : selon lui, jamais le phénomène complotiste n’a été autant pris au sérieux et étudié. Il observe le cas de Rein Lively comme une aubaine : « c’est un très bon exemple de pourquoi il est nécessaire d’avoir des voix venant de l’intérieur de ces communautés, de personnes qui comprennent les valeurs et les expériences de ceux qui adhèrent à la fois aux théories liées au bien-être et aux théories du complot. »

(Source : The Guardian, 17.10.2021)

  • Auteur : Unadfi