Des victimes face à une nouvelle épreuve : la prescription  

La sortie du livre d’Alain Esquerre, Le silence de Bétharram (24 avril 2025, éd. Michel Lafon), soulève une question brûlante : que vaut la parole des victimes face au temps judiciaire ?

Près de 200 plaintes ont été déposées à ce jour dans le scandale Bétharram, du nom de cette institution religieuse mise en cause pour des abus sexuels sur mineurs commis sur la période de 1957 et 2004. Mais seules deux de ces plaintes échappent à la prescription, rendant l’immense majorité des faits juridiquement inexploitables. 

Depuis 1989, la loi a évolué pour mieux protéger les victimes : départ différé du délai de prescription, allongement des délais (jusqu’à 30 ans pour les viols), et introduction en 2021 d’une prescription « glissante » en cas de récidive. Ces avancées sont saluées par la vice-procureure Orlane Yaouanq, en charge du dossier à Pau, mais la réalité judiciaire rattrape l’intention : la loi n’est pas rétroactive. La majorité des actes dénoncés étant déjà prescrits lors des modifications législatives, la justice est pieds et poings liés. 

Une justice bloquée par son passé 

Un ancien surveillant a bien été mis en examen et incarcéré, mais d’autres suspects ont échappé à toute poursuite, grâce à la prescription. Certains gestes, aujourd’hui considérés comme des viols, étaient alors juridiquement qualifiés d’« agressions sexuelles », aux délais de prescription plus courts. Pour s’y retrouver, les magistrats utilisent un outil de calcul spécifique, baptisé « Clepsydre », qui évalue les délais en fonction des lois successives. 

Face à ces blocages, la question de l’imprescriptibilité revient avec force dans le débat public. La Commission indépendante sur l’inceste (Ciivise) rapporte que les trois quarts des 27 000 témoignages recueillis en 2023 portaient sur des faits déjà prescrits. 

Pour d’anciens élèves comme Marc Lacoste-Séris ou Pascal Gélie, la prescription empêche non seulement la justice de faire son travail, mais prolonge la souffrance des victimes. À l’instar de Wilfried, qui n’a porté plainte qu’à l’aube de la cinquantaine, ils dénoncent un système qui produit de l’impunité. 

L’avocat Jean-François Blanco tente d’explorer des voies juridiques pour contourner la prescription. Mais une proposition de loi visant à rendre imprescriptibles les viols sur mineurs au civil a été récemment rejetée. Un signal inquiétant pour la députée Fatiha Keloua Hachi : « la prescription est un frein dans ce dossier ». 

Pour la justice, l’impasse du temps reste : « Plus le temps passe, plus les preuves disparaissent », rappelle la vice-procureure. Et les victimes, elles, attendent encore que leur parole ait un poids. 

(Source : Le Télégramme, 24.04.2025) 

  • Auteur : Unadfi