Sous couvert de bien-être et de développement personnel, la Libre Université du Samadeva diffuse, depuis plusieurs années, un enseignement mêlant ésotérisme, pseudosciences et spiritualité orientale suscitant la vigilance de la Miviludes. La proximité d’un psychiatre universitaire de Strasbourg avec l’organisation interroge.
Fondé dans les années 1990 par Idris Lahore, Patrick Jean Pétri de son vrai nom, le Samadeva se présente comme un courant d’enseignement inspiré du soufisme et des traditions orientales.
Sa vitrine, la Libre Université du Samadeva, installée en Alsace, propose des formations payantes en « yoga de Samara », « énergies subtiles » ou encore « psycho-généalogie spirituelle ». Les brochures évoquent la « libération des blocages énergétiques », la « guérison de l’âme » ou la « ré harmonisation du corps et de l’esprit ». Le discours semble séduire, dans une époque où les pratiques alternatives gagnent du terrain. Mais selon une enquête publiée par Le Point le 28 septembre 2025, certaines promesses franchissent une ligne rouge. L’Université assure pouvoir guérir ou prévenir des maladies graves comme le cancer ou Alzheimer, par des gestes énergétiques ou des méditations collectives. « Nous sommes nombreux à avoir cru qu’il s’agissait d’une approche complémentaire à la médecine, jusqu’à comprendre qu’on nous parlait d’une vérité absolue », confie ainsi une ancienne participante. Les stages du Samadeva se déroulent souvent dans des lieux isolés, au cœur des Vosges. Les participants sont invités à se couper du monde extérieur, à se purifier, à « retrouver leur vibration intérieure ». « Au début, on se sent compris. Puis on se rend compte que tout tourne autour du maître, de ses écrits, de sa vision. Sortir devient presque impossible », raconte une ex-adepte.
Les stages du Samadeva sont facturés plusieurs milliers d’euros. Les « diplômes », sans reconnaissance officielle, entretiennent l’illusion d’un savoir académique. Derrière l’argument du bien-être, c’est un modèle économique structuré qui s’est déployé avec des formations en ligne, des séminaires résidentiels, des ventes de livres et d’élixirs.
La Miviludes a alerté sur ces activités dès 2016, le Samadeva présentant, selon ses analyses, plusieurs indicateurs de dérives sectaires. Elle relève notamment « des promesses de guérison, une soumission à une hiérarchie charismatique et une dépendance financière progressive ».
Une légitimité implicite qui brouille les frontières
Ce qui inquiète les observateurs aujourd’hui, c’est la caution apportée au mouvement par Fabrice Berna, professeur de psychiatrie à l’Université et aux hôpitaux universitaires de Strasbourg. Selon Le Point, ce médecin reconnu pour ses travaux sur les troubles psychiques entretient des liens étroits avec le Samadeva. Il aurait partagé des biens immobiliers, via une Société Civile Immobilière, avec des cadres du mouvement. Il aurait aussi participé à la diffusion de ses enseignements. Ces relations posent une question fondamentale. « Comment une figure universitaire, garante de la méthode scientifique, peut-elle cautionner un mouvement ésotérique identifié par les autorités ? L’Université doit être un espace de savoir critique. Si elle se laisse infiltrer par des logiques pseudo-scientifiques, c’est tout le contrat de confiance avec la société qui vacille », commente un enseignant strasbourgeois, sous couvert d’anonymat.
Interrogé par Le Point, Fabrice Berna nie toute confusion entre ses activités personnelles et ses fonctions académiques. Mais la symbolique est lourde. La présence d’un psychiatre universitaire confère au Samadeva une légitimité implicite qui brouille les frontières entre science et croyance.
Pourquoi l’Université n’a-t-elle pas réagi ? À Strasbourg, certains enseignants évoquent une « culture du silence » et une peur de l’amalgame entre liberté académique et complaisance. D’autres y voient « le recul de la vigilance institutionnelle face aux dérives pseudo-scientifiques, dans un contexte de désengagement de l’État et de crise de confiance envers la médecine traditionnelle ».
Le ministère de l’Enseignement supérieur n’a, à ce jour, pris aucune position officielle. La Miviludes, de son côté, maintient le Samadeva sous surveillance et appelle à « une coopération renforcée entre les universités, les hôpitaux et les services de l’État ». Contactée par Le Point, la direction du Samadeva affirme « enseigner des méthodes de bien-être reconnues dans le monde entier ». Aucune enquête judiciaire n’est actuellement ouverte à son encontre.
(Source : Le Point, 28.09.2025)
