
Elle a quitté la communauté secrète souvent appelée la Vérité ou 2 X 2 en 2007 alors qu’elle avait 17 ans. Aujourd’hui, comme d’autres anciens membres, elle témoigne sur les réseaux sociaux pour que la honte change de camp.
Sa famille fait partie de cette secte chrétienne ultra-secrète depuis près d’un siècle. Chaque année, sa grand-mère assistait au rassemblement communautaire annuel, un événement de quatre jours dans une région rurale de l’Ontario. Ce rassemblement, appelé « congrès », permet aux membres de se rencontrer. Partout dans le monde, des congrès sont organisés par des familles agréées qui mettent leur propriété à la disposition des membres pour qu’ils y installent leurs tentes et leurs caravanes. C’est lors de ce rassemblement en 2007 qu’elle s’est échappée.
Ce jour-là, elle a traversé le site indemne. « D’autres ont eu moins de chance » souligne-t-elle évoquant « des abus sexuels commis sur des enfants, parfois lors de ces congrès, sur des chemins forestiers à l’abri des regards ». Elle ne comprend pas que « dirigeants et membres soient restés impunis pendant des années, échappant à toute surveillance publique, malgré l’activité mondiale de l’Église 2×2 ». Aujourd’hui, un groupe s’est rassemblé en ligne pour exiger des changements. Un processus de réconciliation est en cours. Des survivantes ont raconté leur histoire et parlé publiquement de leurs agresseurs. Leurs témoignages ont attiré l’attention du FBI, qui a ouvert une enquête en février 2024 sur les abus généralisés perpétrés au sein de la communauté.
Ignorance et allégeance
La secte a été fondée à la fin du XIXe siècle en Irlande par l’évangéliste écossais William Irvine. Il croyait que l’Église chrétienne devait suivre les principes de prédication énoncés dans Matthieu 10, où Jésus demande aux apôtres de quitter leurs maisons et leurs biens pour voyager de foyer en foyer en annonçant l’Évangile. Le nom de la secte, inventé par d’anciens membres, fait référence à la croyance selon laquelle leurs ministres célibataires, appelés « ouvriers », devaient se rendre au domicile des membres en couples de même sexe. Ils ne seraient pas rémunérés, mais ils seraient logés, nourris et habillés par des membres de l’Église, appelés « amis ». Reste que de nombreux 2×2 ignorent les débuts du mouvement et refusent de reconnaître l’existence d’un fondateur. « Mes propres grands-parents m’ont convaincu que leur Église descend directement de Jésus et de ses apôtres » explique la jeune femme.
Elle se souvient qu’il est tabou de posséder une télévision, d’écouter de la musique profane, de danser ou de boire de l’alcool. Les femmes ont les cheveux longs, tressés ou en chignon. Elles portent des robes ou des jupes longues, pas de maquillage et pas de bijoux. Elles ne célèbrent ni Noël ni Pâques, ne croient pas au port de la croix ni à aucun autre symbole chrétien et se réunissent à domicile plutôt qu’à l’église. Elles affirment que leurs croyances sont la seule voie vers le salut ».
Plus de 1000 signalements d’abus
En juin 2023, un proche lui a envoyé un SMS au sujet d’un groupe Facebook privé d’anciens membres et de nouvelles allégations d’agressions sexuelles qui entraînaient un exode massif de l’Église. Les administrateurs affirment avoir reçu plus de 1 000 signalements d’abus présumés contre plus de 500 auteurs, dont beaucoup occupaient des postes de pouvoir. Ça a été pour elle « le début d’une révolution, j’ai ressenti un sentiment de validation ». Comme elle, de nombreux ex-membres affirment « ne plus avoir honte de parler ». Longtemps isolés, ils saluent « ces partages en ligne qui leur ont redonné de la vitalité ». Des émotions encore plus intenses depuis février 2024 et l’annonce par le FBI d’une enquête d’envergure.
(Source : Châtelaine, 18.03.2025)
A lire aussi sur le site de l’Unadfi : Les « bébés Baldwin », des enfants volés à leurs mères : https://www.unadfi.org/actualites/groupes-et-mouvances/les-bebes-baldwin-des-enfants-voles-a-leurs-meres/