« Un égalitarisme de façade mué en totalitarisme à huis clos »

Nicolas Jacquard, le journaliste du Parisien qui avait révélé l’existence de La Famille, un groupe religieux apocalyptique, niché en plein cœur de Paris, dont des anciens adeptes avait dénoncé le mode de vie communautaire replié autour d’échanges entre seulement huit familles, a poursuivi son enquête sur le groupe.

Ce nouveau volet l’a conduit jusqu’au village de Malrevers en Haute-Loire où une partie de La Famille a mené une expérience de vie collective sous forme de kibboutz. Contrairement à celle tentée par le même groupe à Pardailhan (Aveyron), celle-ci a perduré et a même prospéré grâce au chiffre d’affaire d’un million d’euros annuels généré par leur fabrique de vêtements haut de gamme Interstyl.

En juillet 2020, deux frères, Joseph et Mathieu Fert, ont raconté dans les colonnes du Progrès les sévices subis durant leur enfance de la part du responsable du kibboutz, Joël Fert. En 2003, la révélation de ces violences avait conduit à l’exclusion de la communauté de toute leur famille. Alors que ces mêmes violences infligées à leur cousin avaient abouti à la condamnation de Joël Fert à deux mois de prison ferme en 2008.

Venus vivre selon un idéal communautaire fraternel soudé autour de l’amitié, le partage, la générosité, les membres du groupe ont construit une microsociété dont les relations avec l’extérieur sont réduites au minimum. Mais le bonheur collectif vanté sur son site internet ne semble pas avoir été partagé par tous. Joseph et Mathieu Fert confient au Parisien que les enfants étaient retirés à leurs parents pour être élevés en commun. Et, placés sous l’autorité du chef, les enfants étaient à sa merci, les parents n’ayant pas leur mot à dire.

Les deux hommes se plaignent de nombreuses brimades infligées par Joël : coups, exercices de gymnastique censés les endurcir, séquestration dans le noir durant des journées, voire des semaines entières (pour avoir vomi dans la salle de prière), insultes. Si aujourd’hui les enfants sont scolarisés dans l’école du village, autrefois ils l’étaient dans la communauté. Né en 1989, Joseph se souvient avoir découvert le monde extérieur lors de son entrée au collège, un choc pour lui qui avait toujours vécu dans un environnement non mixte.

Sa mère, elle aussi née dans legroupe, n’était jamais sortie avant ses quinze ans. Scolarisée alors pendant deux ans, elle est ensuite retournée dans la communauté qu’elle n’a plus quittée jusqu’à son exclusion à l’âge de 38 ans. Elle ne pouvait passer qu’une nuit tous les quinze jours avec ses filles, lorsque venait son tour de surveiller leur dortoir. Le seul autre moment de rencontre entre parents et enfants était le samedi, jour de Shabbat, mais sans démonstrations affectives afin de conserver une égalité de traitement entre tous. Son père ne s’opposait pas plus à l’autorité du chef, même lorsque ce dernier lui demandait de gifler sa propre fille.

Mais cette situation ne choquait aucun des membres qui ne pouvaient remettre en question le fonctionnement d’une communauté qui gérait tous les aspects de leur vie, ne connaissant rien d’autre. Avec le recul Joseph dédouane ses parents incapables de s’opposer à ce « milieu clos et endoctriné ».

La communauté de Malrevers a été fondée par des dissidents de la Famille conduits par Vincent Thibout, déjà à l’origine de la fondation du kibboutz de Pardailhan en 1960, dont il fut exclu en 1961.

L’idée de vivre en communauté n’avait pas quitté Vincent Thibout qui l’expérimente avec quelques familles dans des pavillons de la banlieue parisienne avant de rompre définitivement tout lien avec la Famille et de s’installer en 1972 à Malrevers.

Vincent décédant un an plus tard, il revient à Albert Thibout, lui aussi un ancien de Pardailhan, d’organiser et de redresser les finances du groupe. Ce qu’il réussira grâce à Interstyl. Lorsqu’il meurt en 1999, le kibboutz est depuis dix ans déjà aux mains d’un triumvirat composé de Chantal Fert, de Joël son fils et Sarah l’une de ses filles. Ses deux autres filles ont en charge les enfants.

À partir de ce moment-là, la violence se banalise. Certaines familles étant moins bien considérées que d’autres, leurs enfants furent davantage victimes de maltraitances. Considérés comme des enfants difficiles, Joseph et Mathieu furent frappés, insultés. Joseph confie avoir été dénudé pour « permettre à Joël de mieux viser ». A partir du collège son visage fut épargné pour ne pas éveiller les soupçons.

Cependant, en octobre 2003 les responsables du collège, où étaient scolarisés Joseph et son cousin Franck, découvrent les maltraitances infligées à ce dernier et préviennent les autorités. L’enfant est immédiatement placé et les services sociaux et la police se rendent à Malrevers. Les enquêtes sociales amèneront la justice à conclure en 2007 que, en dépit d’un mode de vie qualifié « d’atypique ou singulier », il n’y a pas « lieu à instituer une mesure de protection à l’égard des enfants dès lors que les éléments rapportés ne révélaient pas de situation de danger ». Mais cela n’empêche pas la condamnation de Joël en 2008, condamnation jugée bien trop clémente par Joseph qui reproche à la justice de ne pas avoir saisi l’ampleur des « actes de torture et barbarie » commis par Joël.

Depuis la condamnation de Joël Fert, même si les membres restent solidaires et défendent leur chef, la communauté se serait ouverte davantage sur l’extérieur et son fonctionnement aurait changé « dans la gestion des rapports parents-enfants ».

Interrogés par Nicolas Jacquard, certains membres ou ex-membres de la communauté défendent leur mode de vie, minimisent les faits, d’autres sont revenus sur des témoignages pourtant éloquents selon le journaliste. Preuve selon lui que la pression du groupe reste forte même sur ceux qui l’ont quitté.

(Source : Le Parisien 18.10.2020)

Lire sur le site de l’Unadfi : https://www.unadfi.org/mot-clef/la-famille-france/

  • Auteur : Unadfi