La Scientologie, « La prison de la foi »

Scientologie sous emprise, version française du documentaire Going Clear, tiré du livre éponyme du journaliste Lawrence Wright, a été diffusée en novembre 2015 sur une chaîne française1. Ce film choc d’Alex Gibney est dans le collimateur de l’organisation qui a tout essayé pour saboter sa diffusion. En tournée promotionnelle en France, le réalisateur est revenu sur les informations que révèle son film et sur les conséquences de sa sortie.
 

Tous les ex-membres qui témoignent dans le film se sont éloignés de la Scientologie après un choc : l’une a découvert les conditions déplorables dans lesquelles grandissait sa fille, un autre avait subi de violents abus physiques… Le système de croyance de la Scientologie oblige à tout faire pour détruire ses ennemis. À leurs yeux, il ne s’agit pas de violation des droits de l’homme mais de la protection de leur idéal.
 

Les révélations des Anonymous puis des ex-hauts cadres de la Scientologie témoignant dans le film ont permis de lever le secret sur la cosmogonie scientologue, une fable de science-fiction cachée aux nouvelles recrues. Les scientologues pensent que leurs névroses tiennent à l’infestation de leurs corps par des extra-terrestres. Au terme de ses investigations, Alex Gibney a été amené à penser qu’à la fin de sa vie, Ron Hubbard croyait vraiment à ce qu’il avait inventé. « Ce qui a commencé comme une arnaque a fini par être une conviction. C’est ça la prison de la foi ». Le réalisateur explique que « La Scientologie a pris une telle place dans la vie de l’adepte qu’elle est devenue une large part de son identité », « c’est pour cela que c’est si dur d’y renoncer, on perd une partie de soi ». Les membres sont enfermés dans cette prison de la foi, la porte est ouverte mais ils restent prisonniers. Ce phénomène est le plus gros problème des autorités judiciaires : « Comment arrêter les coupables si les scientologues subissent volontairement ces abus ? »
Sa diffusion aux États-Unis a fait grand bruit et a provoqué la colère des scientologues qui ont entamé une campagne de harcèlement et de dénigrement à l’encontre du réalisateur et des témoignages constituant le fondement du film. Six mois après la première projection, Alex Gibney fait toujours l’objet d’invectives et de menaces de la part des scientologues. Le réalisateur avait pourtant donné aux personnages clés l’occasion de s’exprimer dans son film et donne encore la parole à la Scientologie pour répondre sur le fond. Comme défense la Scientologie a choisi [comme à son habitude] l’attaque ; elle « diffame ses adversaires » en diffusant sur le Net des « attack video » sur chaque témoin apparaissant dans le film. Alex Gibney a été submergé de courriers d’avocats de la Scientologie visant à empêcher la sortie du film. Marty Rathbun dit que ce que les scientologues savent faire le mieux, c’est distiller de la haine envers ceux qui se mettent en travers de leur route et les faire craquer. 

Alex Gibney montre dans son film la naissance d’une « religion » typiquement américaine très individualiste et matérialiste. L’idée d’amélioration personnelle est une marchandise et aux États-Unis, « on pense que si l’on vous force à payer, c’est que ça doit être précieux ! ». En capitalisant sur le besoin de développement personnel, Ron Hubbard a inventé un empire qui vaut des milliards de dollars. Le réalisateur pense que son pays a toujours compté bon nombre de « religions un peu barges » mais que la Scientologie est la seule organisation qui facture ses services à ses croyants. Or, le fisc américain considère que pour être reconnu comme « religion », les groupes doivent être investis d’intentions charitables. La Scientologie a entamé un bras de fer avec les autorités fiscales au début des années 1990 car elle était devenue « une organisation quasi criminelle ». Mais à force de pression, la Scientologie a gagné sa bataille judiciaire. Alex Gibney considère que c’est profondément choquant.

Les scientologues sont divisés au sujet de l’actuel leader, David Miscavige décrit comme un homme violent par ses détracteurs. Certains pensent que Ron Hubbard était une bonne personne et que Miscavige entraîne la Scientologie à sa perte. Pour Alex Gibney, il n’y a aucune différence entre les deux. Miscavige est effectivement violent, comme l’était Hubbard, et ne fait que poursuivre le dessein du fondateur.
 

Selon le réalisateur, la Scientologie prend également racine dans l’admiration des célébrités. Elle se sert du plus prosélyte, Tom Cruise, comme ambassadeur et contraint John Travolta à rester en le menaçant de révéler ses secrets. 

Il est intéressant de constater que la Scientologie n’a pas intenté de procès à des médias américains depuis plus de 20 ans. Alex Gibney considère d’ailleurs que la Scientologie n’est plus si influente, ni à Hollywood ni ailleurs. À une époque, sous l’influence de Tom Cruise, les cadres des studios hollywoodiens pouvaient être menacés de licenciement s’ils critiquaient l’organisation. Le prosélytisme de l’acteur était très agressif. Mais ce n’est plus le cas. Un peu partout dans le monde, la Scientologie décline. Pour Alex Gibney, le nombre de scientologues au niveau mondial est en constante baisse. Ils donnent l’illusion d’être encore nombreux notamment en se regroupant lors des cérémonies dans des salles de plus en plus petites. « Auparavant les scientologues remplissaient des stades ! » explique-t-il.

Si l’organisation demeure puissante et dangereuse, c’est grâce à l’argent qu’elle génère et au fait que les scientologues sont très procéduriers.
 

Alex Gibney espère que son film donnera aux adeptes hésitants le courage de partir. Internet est devenu le principal ennemi de la Scientologie. Toutes les informations dévoilées ces dernières années ont sorti l’organisation de l’ombre. Alex Gibney pense que les scientologues : « sont comme les vampires. Si vous les exposez au soleil, leur pouvoir s’effondre ». 

(Source : Nouvel Obs, 08.11.2015 & Libération, 10.11.2015 & Télérama, 11.11.2015)

1- Scientologie, sous emprise, Canal +, mercredi 11 novembre 2015 à 20h55