Canada / Une secte juive ultra-orthodoxe fuit la justice québécoise

Une quarantaine de familles juives ultra-orthodoxes ont quitté Sainte-Agathe-des-Monts, au Québec, pour échapper aux mesures prises à leur encontre par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ).

Après 9 heures de route, elles sont arrivées à Chatham-Kent, près de Détroit, en Ontario. Ces familles appartiennent toutes à la secte fondamentaliste Lev Tahor, dirigé par Shlomo Helbrans.

« Si les prescriptions de notre religion ne sont pas conformes à la loi québécoise, il ne nous restait plus qu’à faire nos bagages » a expliqué Mayer Rosner, l’un des leaders du groupe. Il a également précisé que ce déménagement était attribuable au manque de liberté et d’éducation religieuse au Québec.

Les autorités québécoises n’ont jamais recueilli les preuves de traitements brutaux mais les témoignages sont convergents. Les maltraitances concernent les femmes et principalement les enfants. Six d’entre eux ont, par le passé, été placés en famille d’accueil parce qu’ils étaient victimes de négligence. Certains enfants dormaient dans leurs draps souillés d’urine, souffraient de maladie de peau : une femme avait découvert des champignons sur les jambes d’une petite fille témoignant de l’insalubrité dans laquelle certains vivent.

D’autres témoins ont évoqué la prise de médicaments psychiatriques, des coups de barres de fer ou encore des rituels sadiques. Les petites filles sont accablées de tâches ménagères et ne sont pas envoyées à l’école. Comme les femmes, elles sont dissimulées sous de longs draps noirs. Vers 14-15 ans, elles sont mariées à des hommes qui ont plus du double de leur âge. Selon Shlomo Helbrans, il ne faut pas confondre le fait de planifier des mariages entre mineurs dès l’âge de 15 ans avec des « agressions sexuelles ».

Les victimes qui ont échappé à la secte affirment elles que les filles du groupe sont mariées de force dès l’âge de 14 ans, que les femmes sont isolées, les enfants mal nourris, ballottés de famille en famille ou punis avec une sévérité excessive.

Les policiers n’ont pas pu empêcher le groupe de prendre la fuite. D’ailleurs, le départ de Lev Tahor était planifié depuis longtemps. Le choix de l’Ontario n’est pas un hasard non plus : Mayer Rosner pense que « la loi est différente en Ontario, on pourra vivre ici ». D’après lui, si le groupe a choisi cette province, c’est parce que les « lois y son plus permissives et que le ministère de l’éducation y est plus ouvert à l’enseignement à domicile ». En effet, les membres de Lev Tahor attribuent leurs ennuis au fait qu’ils refusent d’enseigner la théorie de l’évolution, contraire à leurs croyances. Mais selon la DPJ, les lacunes des enfants étaient bien plus inquiétantes en mathématiques. Les enfants ne parlaient que le yiddish, ne connaissaient ni l’anglais ni le français et étaient trop isolés.

Alors que la quasi-totalité des membres ont fui, Shlomo Helbrans demeure dans les Laurentides (région administrative du Québec). Il affirme n’avoir jamais maltraité d’enfants. Il déclare sur une chaîne publique avoir été prudent en ne mariant pas les gens avant 16 ans, « et ce, tout le temps que nous étions ici, même si ce n’était pas notre croyance. Si un gouvernement nous force à faire quelque chose contre notre Torah, nous ne devons pas suivre le gouvernement. Nous prenons notre baluchon et nous partons ». Il n’a cependant pas nié avoir procédé à des mariages religieux pour des enfants âgés de 15 ans, « des citoyens américains qui s’étaient préalablement rendus aux États-Unis pour se marier devant un juge ».

Toujours très à l’aise devant les médias, il a accordé une interview à Radio-Canada soutenant que jamais personne n’a maltraité un enfant dans la communauté de Lev Tahor. Helbrans rassure en affirmant que la Torah leur interdit ce genre de violence. « Nous sommes des gens pacifiques et gentils. Et je crois que nous sommes persécutés à cause de profonds préjugés », ajoute-t-il.

Il n’en reste pas moins que la Cour du Québec poursuit toujours deux familles dont les enfants risquent de faire l’objet d’ « ordres de rechercher et ramener » afin que la DPJ puisse poursuivre leur suivi. La première famille compte neuf enfants âgés de 6 mois à 14 ans. La seconde, cinq enfants de 9 à 17 ans. Alors que les parents devaient conduire leurs enfants au palais de justice, les deux pères ont estimé que la justice québécoise ne les concerne plus. C’est donc en leur absence que le juge Pierre Hamel a statué sur le placement des 14 enfants en famille d’accueil. La DPJ veuf faire valider la décision du jugement en Ontario afin que les enfants, en péril dans leurs familles, soient retirés au plus vite. D’après Mayer Rosner, « les Ontariens n’ont rien trouvé à redire sur le mode de vie du groupe » ; il accuse même la DPJ de « gonfler de petites choses hors de proportion ». Les parents comptent quant à eux faire appel de la décision.

La balle est désormais dans le camp des services sociaux de Chatham qui devront « évaluer le dossier et déterminer s’il y a des motifs suffisants pour demander à un juge d’émettre une ordonnance afin que les enfants soient ramenés au Québec. Assurant collaborer avec les autorités québecoises, les services sociaux d’Ontario refusent de commenter davantage.

 

En parallèle

Aux griefs de persécution antisémite sous-entendus par Shlomo Helbrans, la députée israélienne Orly Lévy-Abecassis oppose que des juifs très pratiquants considèrent que cette affaire est une honte pour le judaïsme.

Présidente du comité des droits de l’enfant à la Knesset (parlement israélien), Orly Lévy-Abecassis a recueilli dans le cadre d’une commission d’enquête, plusieurs témoignages de membres de la secte de Lev Tahor et de proches des familles. Si cette commission s’est constituée, c’est parce que les dérives de ce groupe sont connues depuis plusieurs années et que des ressortissants israéliens sont concernés. Si les membres de Lev Tahor ont quitté Israël pour s’installer au Canada, c’est pour profiter de « la souplesse des lois canadiennes ». Ils savaient qu’ils y seraient moins surveillés, moins facilement inquiétés par la justice.

Selon la députée, les témoignages « glacent le sang ». Tous dénoncent des actes de violences, des mariages forcés et de la maltraitance d’enfants. Pour elle, « l’urgence est de collaborer pleinement sur ce dossier pour sauver les enfants victimes de cette secte. Chaque jour compte ».

 

Que sait-on de Lev Tahor ?

En 1985, Lev Tahor, « Cœur pur » en hébreu, est fondé en Israël par Eres Shlomo Elbarnes qui se rebaptise Shlomo Helbrans à cette occasion. Cinq ans plus tard, suivi de 20 fidèles, il part pour Brooklyn aux États-Unis afin d’échapper aux enquêteurs qui le soupçonne d’entretenir des liens avec un mouvement islamique.

En 1994, Helbrans est condamné à 12 ans de prison pour avoir kidnappé un enfant de 13 ans. Libéré 2 ans plus tard, il relance sa communauté dans l’État de New-York. Il est finalement expulsé des États-Unis en 2000 et renvoyé en Israël.

En 2001, Lev Tahor déménage au Québec, à Saint-Agathe-des-Monts ; le Canada lui accorde le statut de réfugié deux ans plus tard.

C’est en 2006 que la Direction de la protection de la jeunesse commence à enquêter sur la communauté. Six ans plus tard, Nathan Helbrans, le fils du leader dénonce les agissements au sein du groupe aux services sociaux : plusieurs enfants sont placés en famille d’accueil.

Entre temps, en 2011, les services d’immigration du Canada, alertés par Interpol, avaient intercepté deux jeunes israéliennes de 13 et 15 ans, à l’aéroport de Montréal, officiellement venues en vacances à Saint-Agathe. Mais selon un tribunal israélien qui a ordonné le retour des deux jeunes filles, elles devaient être mariées de force et intégrées dans ce que la juge israélienne à qualifier de « secte ».

Plus récemment, en octobre 2013, des familles restées en Israël voulant attirer l’attention sur les « enfants de Sainte-Agathe », ont manifesté devant l’ambassade du Canada à Tel-Aviv.

Avant leur fuite, la communauté de Lev Tahor de Saint-Agathe-des-Monts comptait approximativement 200 personnes dont 130 à 140 enfants.

Info Secte aurait reçu 7 appels la concernant.

Sources : La Presse, Marie-Claude Malboeuf, 21, 25, 27 et 28.11.2013, 02.12.2013 & Radio-Canada, 25 et 28.11.2013