Porter plainte et témoigner pour se reconstruire

Huit mois après la mise en examen du directeur du centre Conscience évolution vitalité énergie (CEVE) à Chassaignes (24) pour viols, agressions sexuelles et abus de faiblesse sur des personnes en état de sujétion psychologique, une des victimes témoigne. Elle souhaite que son “histoire puisse aider des victimes et leurs proches à prendre conscience de l’emprise d’un éventuel manipulateur et les soutenir dans leur quête de reconstruction”.

 En 2012, cette quinquagénaire, nouvellement arrivée en Dordogne, décide de s’inscrire à des cours de qi gong. Après plusieurs mois de participation, les discussions s’imprègnent de mysticisme. Ce changement d’ambiance intervient après un changement d’adresse : les séances sont déplacées au château de Pauly, le siège de CEVE. Là, d’autres activités sont proposées comme des stages, des séminaires ou des massages. L’un des enseignants de qi gong lui dit qu’elle ne sait pas “se gérer” par elle-même et la pousse à suivre des séances de thérapie individuelles avec le responsable des lieux.

Vêtu comme un médecin, le dirigeant du château la déstabilise dès la première séance : “il m’a dit que je mentais mais que lui savait la vérité”. Démarre une séance de massage durant laquelle il lui parle d’un problème intime dont personne ne connait l’existence. Elle se souvient être déjà conditionnée à ce moment puisqu’elle repense à ceux qui lui avaient vanté les “pouvoirs” du thérapeute. Il lui fait alors croire qu’il l’a choisie : “Je n’accepte pas tout le monde mais, après ce premier contact, je veux bien vous prendre en thérapie”.

Utilisant le ressort de la culpabilité, il passe alternativement d’un regard bienveillant, “comme un père et une mère réunis” à une expression plus froide. Elle recherche en permanence sa bienveillance ; elle est sous emprise. Elle rompt avec tous ceux qui ne la comprenaient plus : “J’avais rejeté mes enfants, mon conjoint, mon travail. J’étais incapable de lire, écouter la radio, regarder la télé. Aucune ouverture sur l’extérieur n’était possible, je n’en avais plus aucune envie”. C’est à ce moment que les viols ont commencé.

En septembre 2013, elle décide de devenir elle-même thérapeute. Son “psy” devient son formateur omniprésent et omnipotent : “J’étais son élève, il était mon gourou. J’avais l’impression qu’il était dans ma tête, j’étais certaine qu’il en avait le pouvoir car il me l’avait affirmé”.

Le déclic survient lorsque le thérapeute ne se présente pas à un rendez-vous : “Il n’est jamais venu. J’avais tout perdu, j’avais failli, je n’étais pas parvenu à faire ce qu’il souhaitait. Il m’a ainsi laissée pour folle, comme on laisse quelqu’un pour mort.” Elle prend alors conscience que l’état de prostration induit par cette défaillance n’est pas normal. Elle réalise que la personne en qui elle avait le plus confiance lui “voulait du mal”.

Elle a honte mais craignant de sombrer dans la folie, elle finit par contacter sa sœur et réaliser : “le mot secte s’est alors allumé dans ma tête”.

Sur Internet, elle découvre alors la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) et prend contact avec l’Adfi locale.1

Cela fait un an qu’elle a entamé sa reconstruction : “Il est primordial de porter plainte, mais aussi de dialoguer avec un psychologue. Je dois trouver pourquoi j’ai été à la fois victime et partie prenante.”

Source : Sud Ouest, 19.11.2014

Lire aussi sur le site de l’UNADFI, Un thérapeute énergétique mis en examen pour abus de faiblesse.

La société Conscience évolution vitalité énergie (Ceve) a été créée en 2010. Elle proposait des cours de qi gong, une discipline méditative chinoise, des séminaires de développement personnel, de réflexologie, de pratiques énergétiques ou encore de relaxologie.

Son président aurait “pris conscience d’un don particulier à la suite d’une grave crise personnelle. Il aurait alors suivi une initiation auprès de moines tibétains grâce auxquels il aurait développé son don de clairvoyance”.

Grâce aux plaintes de quatre victimes, l’instruction a permis l’interpellation et la mise en examen du responsable de CEVE.

1 – ADFI Bordeaux