Le phénomène des faux souvenirs… Un vrai cauchemar

Bulles n°69 - mars 2001

Depuis quelques années sont parvenus aux ADFI un certain nombre de témoignages révélant l’apparition en France d’un phénomène qui nous paraît constituer un véritable danger pour les familles et l’intégrité de la personne. Apparu aux Etats-Unis au début des années 80, ce phénomène est connu sous le nom de  » mémoire retrouvée  » ou du  » syndrome des faux souvenirs « . Au cours d’une psychothérapie, des souvenirs traumatisants d’abus sexuels ayant eu lieu soi-disant durant l’enfance ressurgissent, vingt ans plus tard, à la mémoire. Pourtant, aucun de ces prétendus souvenirs d’enfance n’aurait existé avant le début de la thérapie. Ainsi, les patients, certains d’avoir retrouvé la cause de leur souffrance interne, accusent leurs parents d’inceste. S’agit-il d’une technique utilisée afin de reconstruire le passé et l’identité d’une personne dans le but de la contrôler, d’exercer son pouvoir et instaurer une relation d’emprise, de la séparer et de l’isoler de sa famille ? S’agit-il d’une dérive où l’acharnement thérapeutique, qui consiste à retrouver à tout prix dans la mémoire des souvenirs grâce à des questions suggestives, à chercher de façon intrusive une parole qui ne vient pas, à se focaliser activement sur la maltraitance et les abus sexuels, démontre une position confuse où se mêlent militantisme et fonction thérapeutique ?

 

La théorie de la mémoire retrouvée

Aux Etats-Unis, de nombreux psychothérapeutes ont pour théorie la mémoire retrouvée. Selon cette théorie, retrouver des souvenirs soi-disant totalement réprimés permettrait de résoudre les problèmes psychologiques actuels. Ces thérapeutes, adeptes de cette théorie à la mode, expliquent la souffrance de leurs patients par un traumatisme réel : l’inceste et la maltraitance. Ainsi, lorsqu’une patiente consulte, car il s’agit le plus souvent de jeunes femmes en souffrance psychologique, le thérapeute va l’inciter à rechercher activement des souvenirs enfouis traumatisants. Ainsi, au fil des séances, sous l’influence des questions directives du thérapeute, ces patientes vont se mettre à retrouver des souvenirs oubliés qui, majoritairement, sont des souvenirs d’abus sexuels durant l’enfance. Convaincues de la réalité de ces souvenirs grâce à l’appui de leur thérapeute, ces femmes accusent publiquement leurs parents d’inceste et de complicité. A partir de ce moment, le thérapeute proposerait à la patiente soit de poursuivre sa thérapie en travaillant à résoudre sa douleur et sa colère, soit de faire face à son abus en confrontant ses abuseurs.

Selon cette théorie, les souvenirs traumatiques sont enterrés, les violentes émotions négatives qu’ils ont entraînées avec eux s’infiltrent dans la personnalité  » empoisonnant  » les relations et  » minant  » l’image de soi. C’est pourquoi il est nécessaire de retourner dans le passé,  » déterrer  » les souvenirs enfouis et les exposer à la lumière du jour. Cette rencontre avec  » la vérité du passé  » serait la seule manière d’atteindre la compréhension, la guérison et la délivrance.

 

Pratiques de ces thérapies abusives

Pour aider les patients à retrouver leurs souvenirs, la thérapeute Susan Forward explique dans son livre  » Betrayal of Innocence  » (trahison de l’innocence) sa méthode lorsqu’elle se trouve face à une patiente. Elle leur dit  » Vous savez, d’après mon expérience beaucoup de gens, qui ont des problèmes semblables aux vôtres, ont eu une mauvaise expérience dans leur enfance ; ils ont été par exemple molestés ou battus. Peut-être quelque chose de semblable vous est-il arrivé ? « . D’autres praticiens proposent d’intervenir directement en disant, par exemple,  » J’ai l’impression, à vous entendre, que vous avez été abusé sexuellement dans votre enfance.  » Les psychothé-rapeutes Maltz et Hohnan, auteurs de  » Incest and Sexuality « , donneraient le conseil suivant à leurs collègues :  » Lorsque des survivantes ne peuvent pas se rappeler leur enfance, ou n’en ont que des souvenirs flous, il faut toujours considérer l’inceste comme une possibilité « . De même, le psychothérapeute Beverly Engel explique à ses patients :  » Si vous avez le moindre doute, si vous en avez un souvenir même très vague, alors cela s’est probablement passé « . Aussi, Bass et Davis confirment la théorie :  » Si vous pensez que vous avez été abusée et si votre vie en montre les symptômes, c’est que vous l’avez été « .

 

Critiques

Il a clairement été démontré que des incitations à imaginer un événement fictif augmentent la probabilité d’inventer des souvenirs. Aussi, selon les recherches de Loftus et Ketcham, il est possible d’implanter des  » faux souvenirs  » par suggestion et/ou par des fausses informations.

Selon Boris Cyrulnïk, neuropsychiatre, les incestes fantasmatiques sont courants. Et, il suffit que l’inceste soit mis en vedette par le discours culturel pour que se manifeste un grand nombre d’incestes allégués. Selon lui, le psychothérapeute y est pour quelque chose, qui, par son pouvoir de suggestion, transforme un fantasme en souvenir. En 1994, en Australie, une association de psychologues dénonçait le risque de suggérer des souvenirs. En 1997, le Royal College of Psychiatry engage les psychiatres anglais à  » éviter de recourir à toute technique de réactivation des souvenirs basée sur l’hypothèse de violences sexuelles anciennes dont le patient a perdu le souvenir « . D’autres déclarations invitent les thérapeutes à suivre leurs patients au lieu de les précéder, à n’exercer aucune pression sur eux.

Nous ne pouvons pas dire que tous les souvenirs de violences sexuelles retrouvés après avoir été refoulés sont faux puisque de nombreux cas prouvent le contraire. De même, nous ne pouvons pas dire qu’ils sont tous vrais puisque l’on sait que la mémoire aurait une nature créative : les faux souvenirs existent, on sait même les fabriquer. D’où l’exigence, formulée de façon répétée par la FMSE, qu’aucun témoignage alléguant des violences sexuelles ne soit admis en justice sans preuves à l’appui : aveux de l’accusé, autres témoignages, examens médicaux…

Delphine Guérard, psychologue clinicienne, UNADFI.

Attention, il ne s’agit pas pour l’UNADFI de nier la réalité des abus sexuels ni de la minimiser, seulement, il lui semble fondamental de dénoncer de telles pratiques puisqu’elles existent et vont à l’encontre des droits de l’homme et de sa liberté et nuisent fortement au combat légitime des vraies victimes d’inceste. Si I’UNADFI reçoit les familles victimes de faux souvenirs c’est parce qu’elle a pour objectif d’accompagner, informer et prévenir les individus contre l’exploitation par les sectes. L’association n’a pas le pouvoir de défendre juridiquement ni d’enquêter mais dispose de con-naissances, de savoirs, d’informations qu’elle met à la disposition de chacun. Ainsi, il ne s’agit pas de juger les familles reçues mais de les accueillir pour les informer et les aider à s’organiser.