Le complotisme derrière un enlèvement d’enfant

Derrière l’enlèvement de Mia Montemaggi à la mi-avril se cachent les dérives de complotistes. Une communauté complotiste en rupture avec les fondements de la société et forgée sur internet a été en mesure de s’organiser et d’effectuer un passage à l’acte.

Les faits

Le 13 avril 2021 : enlèvement sans violence de Mia Montemaggi, petite fille de huit ans, par plusieurs hommes dans la maison de sa grand-mère dans les Vosges. Les hommes se sont fait passer pour des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse. Cet enlèvement a entraîné le lancement d’une opération Alerte enlèvement par les autorités judiciaires françaises.

Le 18 avril 2021, la petite fille est retrouvée avec sa mère sur le territoire de la commune suisse de Sainte-Croix, dans le canton de Vaud. Elles ont été hébergées par plusieurs complices. Leur fuite devait les conduire jusqu’en Russie.

Dans les jours suivants, plusieurs individus soupçonnés d’avoir pris part à cet enlèvement ont été placés en garde à vue. Ils ont reconnu avoir reçu une «  commande » émanant de Rémy Daillet-Wiedemann français refugié en Malaisie et supposé organisateur de l’enlèvement. Les informations de ce dernier auraient transité par un dénommé « Bouga » qui n’était pas présent lors de l’enlèvement et la fuite vers la Suisse. Un mandat d’arrêt international a été émis à l’encontre de Rémy Daillet-Wiedemann. Les interpellés sont poursuivis pour enlèvement en bande organisée d’une mineure de moins de quinze ans et association de malfaiteurs.

Les profils

Plusieurs profils parmi ceux qui ont pris part à cet enlèvement : ceux des ravisseurs interpellés, celui de la mère Lola Montemaggi et celui du présumé leader et commanditaire de l’enlèvement Remy Daillet.

Les ravisseurs

Les six hommes interpellés après l’enlèvement, dont les identités n’ont pas été révélées, sont inconnus des services de police. Insérés socialement et âgés de 40 et 60 ans, ils se sont rencontrés sur les réseaux sociaux autour d’idées complotistes, antisystème, de lutte contre la dictature sanitaire et la vaccination. Autre idéologie qu’ils ont en commun celle de penser que les enfants placés sont subtilisés à leurs parents et qu’ils doivent agir afin de les récupérer et de les rendre à leurs parents. Leur communauté d’idées et leur groupe antisystème est animé par Rémy Daillet-Wiedemann. Ils avaient en commun des projets assez flous d’actions violentes contre l’État et le système. C’est pourquoi ils étaient surveillés depuis plusieurs semaines par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

La mère : Lola Montemaggi

Tombée dans le complotiste, la mère de Mia, Lola Montemaggi a œuvré à l’enlèvement de sa fille notamment à travers ses rencontres sur internet et les réseaux sociaux. Après avoir fréquenté des groupes de « gilets jaunes », elle suivait assidument des groupes antisystème et de complotisme radical sur les réseaux. Ses idées se sont radicalisées avec la pandémie de Covid-19 et les périodes de confinements.

Depuis plusieurs années, les posts de son mur Facebook montrent une rhétorique habituelle complotistes. Elle publie des messages et vidéos sur le système corrompu par des élites manipulatrices, les dangers de la 5G, les chemtrails ou encore la présence de cellules de fœtus avortés dans le Pepsi Max. S’ajoutant à des soucis financiers et de santé, la crise sanitaire plonge encore plus Lola Montemaggi dans le complotisme. Elle y voit un virus « fabriqué de toutes pièces pour vacciner la population mondiale et ainsi nous insérer leur puce RFID [puces électroniques ou « Radio Frequency Identification »]». Durant l’année 2020, la maman a tenté de déscolariser sa fille et de faire l’école à la maison mais cela lui a été refusé.

Suite à un signalement du conseil départemental des Vosges le parquet d’Epinal place Mia chez sa grand-mère maternelle au début de l’année 2021. Lola Montemaggi a le droit de la visiter deux fois par semaine en présence des services sociaux. Puis le 11 mars 2021 le juge ordonne de rompre tout contact suite à une note des services sociaux qui montre que la mère aurait tenu des propos suicidaires et adopterait des comportements violents envers son compagnon. Fin janvier 2021, un message de Lola Montemaggi au groupe One Nation montre qu’elle demande des conseils pour récupérer sa fille et dans un autre message elle affirme avoir contacté Remy Daillet et attendre sa réponse.

En plus de ses approches complotistes, Lola Montemaggi est aussi adepte de One Nation. Ce mouvement aurait par ailleurs contribué à l’aider dans sa tentative de récupérer sa fille. Certains membres auraient pu financer une cagnotte mise en place par Remy Daillet dans le but d’enlever des enfants. One nation est un mouvement provenant des États-Unis mais il s’est répandu en France où il compte des centaines d’« êtres souverains ». Le groupe appelle à une désobéissance « joyeuse et pacifique » et dans son manifeste la fondatrice du mouvement apporte sa vision et son grand projet. Le groupe considère que l’individu prime sur la loi et sur la société, il est donc conseillé de fuir la société et de supprimer tout liens avec elle comme retirer le nom de ses enfants des registres d’état civil. Dans les messages échangés par le groupe essentiellement sur l’application Telegram l’idée de placement abusif des enfants est régulière et ils n’hésitent pas à mettre en cause l’Aide sociale à l’enfance. C’est donc logiquement que Lola Montemaggi y a trouvé du soutien.

Le leader : Remy Daillet-Wiedermann

Réfugié en Malaisie, Remy Daillet est soupçonné d’être l’organisateur et le financeur de l’enlèvement de Mia et un mandat d’arrêt international a été émis à son encontre. Il est aussi le fondateur du mouvement dont se revendiquent tous les suspects de cette affaire.

Il est fils d’un ancien parlementaire UDF, bercé dans la politique il a été président du MoDem de Haute Garonne avant d’en être rapidement exclu. Il est le fondateur d’un site défendant l’école à domicile. Sur ce site il vend des conseils pour accompagner les parents et critique ouvertement l’éducation nationale. Il se montre virulent à l’encontre des placements d’enfants qu’il juge pour beaucoup « abusifs ». Ses propos ont pu rencontrer un écho particulier chez Lola Montemaggi.

Remy Daillet est aussi connu pour être l’une des figures du complotisme en France. Dans de nombreuses vidéos, il encourage ses suiveurs à renverser l’État. Il défend l’idée d’un coup d’État « pacifique et populaire » et dispense des diatribes contre le port du masque, la vaccination, le confinement, la 5G, l’école mais aussi sur “la maçonnerie et autres sectes dangereuses ». Ses discours appelant à l’insurrection sont parfois accompagnés de l’acronyme WWG1WGA, la devise du groupe QAnon. Il partage avec ce groupe l’idée de faire chuter les « organisations secrètes antinationales ».

Ses propos synthétisent bien l’ensemble des théories complotistes qui ont le vent en poupe. Certaines de ses vidéos sont aussi ouvertement antisémites. Ses prises de positions se révèlent souvent proches des idéaux de l’ultra-droite comme par exemple la suppression des soins pour les étrangers en situation illégale ou pour la déchéance de nationalité des Français d’origine étrangère en cas de délit. Il est ouvertement anti mariage homosexuel et pour la réduction à quatre semaines du délai d’avortement.
D’après Le Parisien, Remy Daillet est déjà connu des renseignements car son nom apparait dans l’enquête sur l’attaque d’un gendarme à Dax en novembre 2020. L’auteur avait expliqué être passé à l’acte sous l’influence des propos de Remy Daillet. De plus, il ferait l’objet d’une note d’Interpol après s’être félicité – sous pseudonyme- sur les réseaux sociaux de l’inscription de tags négationnistes sur une stèle mémorielle d’Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne).

Soupçonné d’avoir joué un rôle dans l’enlèvement de Mia il déclare dans une vidéo «Notre organisation, libre, résistante, rend des enfants kidnappés par l’État à des parents, à leur demande. Il n’y a donc absolument pas d’enlèvement ». 

Le profil de Remy Daillet n’est pas sans rappeler celui de Stan Maillaud. L’Unadfi avait été alertée dès 2000 sur cet homme qui à la tête d’un groupe complotiste a été condamné à plusieurs reprises pour avoir projeté d’enlever des enfants à la demande des parents. Il avait justifié son acte sur fond de prétendue lutte contre les élites pédophiles sataniques. Un discours, là aussi, proche des argumentaires de QAnon.

Complotisme, enfants et pédocriminalité

Il n’est pas rare que des parents séparés de leurs enfants à la suite d’une décision de justice se tournent vers des discours complotistes qui leur apportent une réponse simple, désignent un coupable et surtout qui leur promettent le retour de leurs enfants. Car comme le mentionne Pascale Duval porte-parole de l’Unadfi : « Entre le refus de la vaccination et l’attentat, l’enlèvement d’enfants fait désormais partie de l’éventail complotiste.

L’idée d’une élite derrière un complot pédo-criminel mondialisé où la police, la justice et l’aide à l’enfance seraient des pions au service du  système est récurrente au sein des groupes complotistes. ». De fait la protection de l’enfance devient un cheval de bataille pour ces groupes comme QAnon. Pour Gérald Bronner, ces histoires de trafic d’enfants ont aussi permis aux complotistes d’attirer plus de femmes dans leurs mouvements tout comme les médecines alternatives.

Conclusion

Cette affaire fait naître une crainte d’entrevoir de nouveaux passages à l’acte de la part de complotistes agissant seul ou en groupe plus ou moins organisé Ils sont souvent vus comme des doux illuminés, mais des faits comme celui de l’enlèvement de Mia ou l’assaut du Capitole montrent que les démocraties ne sont pas à l’abri d’actes émanant de ces groupes. Pascale Duval constate : « On voit des gens qui se radicalisent autour de croyances ou d’idéologies pour former un groupe virtuel (…). Ils peuvent ensuite se regrouper physiquement pour un éventuel passage à l’acte ». Laurent Nunez, coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, analyse le profil des protagonistes de l’affaire Mia et constate que ce sont des conspirationnistes qui « prônent l’action violente, parfois même jusqu’à l’insurrection, et qui visent l’État. ». Ils ciblent l’ensemble des institutions.

Depuis plusieurs années, l’Unadfi fait le lien entre complotistes et mouvements sectaires qui induisent une triple rupture : avec soi-même, avec l’environnement proche (celui qui est antérieur à l’adhésion au groupe, à l’idéologie) et enfin celui avec la société. L’étude des discours des groupes et mouvances nous informe sur la troisième rupture, celle avec la société. L’explication que nous donnons est la suivante : le mouvement sectaire ou complotiste a son propre projet politique, sa propre vision de la société. Les lois de la République ne concernent plus les membres puisqu’ils ne sont plus des citoyens de la nation mais des sujets de la communauté. C’est pourquoi les passages à l’acte ne sont pas rares, conséquence du désinvestissement citoyen, de la rupture avec la société.

Les adeptes, quelle que soit la croyance ou l’idéologie forment une communauté qui s’établit au début de façon virtuelle, sur les réseaux sociaux. Progressivement, ils vont se radicaliser puis se couper et idéologiquement de la société. Dans l’affaire Mia, on voit comment les membres de cette communauté formée sur le web deviennent capables de s’organiser et de se rencontrer pour un éventuel passage à l’acte.

(Sources : Unadfi & Le Parisien, 16.04.2021 & 20.04.2021 & BFM TV, 20.04.2021 &Le JDD, 20.04.2021 & Le Figaro, 20.04.2021 & France Info,21.04.2021 & 22.04.2021 & La Croix, 21.04.2021& Le Point, 22.04.2021& Le Monde, 22.04.2021 & Ouest France, 20.04.2021 & Streetpress, 21.01.2021 & Marianne, 20.04.2021)

  • Auteur : Unadfi