De l’utilisation du complotisme dans la sphère politique

Interrogé par le journal L’Express « sur la vague actuelle de complotisme, surreprésentée au Rassemblement national et chez La France insoumise », Gérald Bronner, sociologue spécialiste de la croyance, explique que cette mouvance sera un enjeu important dans la prochaine compagne présidentielle. C’est pour lui « un danger réel pour les démocraties en général ».

Dans son dernier essai « Apocalypse cognitive », il déplore « l’épidémie de crédulité », favorable à la propagation des thèses complotistes, et l’explique par une augmentation du temps libre et de l’information disponible. L’avènement du numérique ayant « depuis le début de ce siècle produit plus d’informations sur Terre que depuis l’invention de l’imprimerie », ce foisonnement oblige à une sélection qui ne va pas toujours dans le sens de la rationalité. D’autant moins qu’internet a dérégulé l’information, laissant la possibilité à chacun de « proposer sa vision du monde ». Ceux qui suscitent le plus l’attention, sont ceux qui « exploitent des émotions ancestrales comme la peur, la colère ou l’indignation ». Le succès de la collapsologie ou les discours anxiogènes sur la dangerosité des vaccins en sont des exemples.

Les théories du complot se sont tellement répandues depuis un an qu’elles sont parvenues à s’échapper de la sphère virtuelle pour entrer dans le monde réel. L’assaut du Capitole à Washington en début d’année en a été une démonstration percutante et a permis « une prise de conscience de la dangerosité de cette crédulité ». Crédulité que Trump a su alimenter durant tout son mandat en faisant de la désinformation son mode de communication. En récusant la parole des experts, par exemple lorsqu’il a nié le réchauffement climatique parce qu’à certains moments il fait froid, il a légitimé le « bon sens » populaire et l’intuition « comme expression politique ».
En France les deux groupes politiques regroupant le plus de personnes susceptibles d’adhérer aux thèses complotistes sont les sympathisants du Rassemblement National et de la France Insoumise. En 2019, Gerald Bronner avait déjà noté que « la variable prédisant le mieux le fait d’être complotiste était l’identification au mouvement des gilets jaunes ». Mais contrairement à d’autres pays (comme l’Italie) où les extrêmes ont pu se réunir par l’entremise de thèses complotistes, il est peu probable que ce soit le cas en France.

Pour Gérald Bronner, les doutes exprimés par Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon au sujet de la vaccination avaient comme objectif stratégique d’entretenir auprès de leur électorat défavorable à la vaccination » une vision paranoïde du monde ». Et bien qu’ils se soient dit prêts à se faire vacciner, cela leur permet de conserver « une armée électorale de réserve ».
Par contre, souligne-t-il, des candidats de moindre importance comme Florian Philippot, Nicolas Dupont-Aignan ou Philippe De Villiers, n’hésitent pas à se positionner sur un créneau conspirationniste afin de « gagner des parts de marché dans des niches » complotistes. Mais, eux aussi ont des limites. En effet « exprimer politiquement un complotisme trop décomplexé » comme celui des thèses QAnon  peut être contre-productif.

Pour Gérald Bronner, l’exécutif a accordé trop d’importance à l’opinion des antivaccins, en particulier lorsque le vaccin AstraZenaca a été suspendu. Selon lui, « le récit politique aurait pu mieux défendre la rationalité » en faisant « savoir que nous sommes en danger de mort, et que la seule solution disponible est la vaccination. »

Mais la réhabilitation récente de la Miviludes semble montrer que « les pouvoirs publics se donnent plus de moyens pour lutter contre ces phénomènes d’irrationalité ».

Cependant, ce ne sera pas suffisant pour faire barrage aux théories du complot. L’éducation à l’esprit critique est essentielle, mais ses effets se verront à long terme. En attendant, sans entrer dans une forme de censure, il suggère de les freiner en changeant les algorithmes des IA (Intelligence artificielle) pour laisser une chance aux thèses rationnelles d’être plus visibles en ligne.

(Source : L’Express, 14.04.2021)

  • Auteur : Unadfi