Reclus de Monflanquin : le tribunal de Bordeaux rend son verdict

Du 24 septembre au 5 octobre 2012, le procès en correctionnel de Thierry Tilly, 48 ans et de Jacques Gonzalez, 65 ans, soupçonnés d’avoir, de 2001 à 2009, dépouillé une famille d’aristocrates bordelais, les Védrines, s’était déroulé à Bordeaux. Le procureur avait alors requis la peine maximale de 10 ans contre Thierry Tilly et 5 ans, dont un an avec sursis, contre Jacques Gonzalez.


Le verdict est tombé le 13 novembre 2012. Le tribunal a condamné Thierry Tilly à huit ans de prison ferme, le jugeant coupable des délits de détention arbitraire, de violences sur personnes vulnérables et d’abus de faiblesse sur personne en état de sujétion psychologique. Il a également été condamné à une peine de cinq ans de privation des droits civiques et civils. Le tribunal n’a pas complètement suivi le procureur, le relaxant pour des faits datés de 1999 à 2001, antérieurs donc au vote de la loi About-Picard (juin 2001) qui reconnaît le délit d’abus de faiblesse sur personne en état de sujétion psychologique.

Quant à Jacques Gonzalez, convaincu du recel des biens dérobés par Thierry Tilly, il a écopé de quatre ans d’emprisonnement.

Le tribunal a condamné les deux prévenus à payer solidairement aux victimes 4,5 millions d’euros pour préjudice matériel et 505.000 euros au titre de préjudice moral. A Christine de Védrines, victime de sévices de la part de Thierry Tilly et du reste de la famille, le tribunal a accordé 80.000 euros pour préjudice moral. Rappelons que c’est elle qui avait porté plainte et provoqué l’arrestation du gourou en 2009.

Les membres de la famille avaient été « libérés » fin 2009, grâce à deux « opérations d’exfiltration » menées par l’avocat Me Picotin, une psychanalyste et une criminologue. Cette technique, développée aux Etats-Unis par Steven Hassan, ancien membre de la secte Moon, consiste à créer « un déclic psychologique » chez une personne vivant sous l’emprise d’un gourou ou d’une secte.

Rappelons que de 2001 à 2009, les membres de la famille Védrines, alors âgés de 15 à 87 ans, avaient vécu cloîtrés dans le château Martel à Monflanquin dans le Lot et Garonne puis dans une maison totalement « bunkérisée » à Talade, également dans le Lot et Garonne, et enfin à Oxford en Angleterre. Ils étaient l’objet d’une « véritable vampirisation financière et morale » de la part de Thierry Tilly, selon les termes du procureur, Pierre Bellet. Sous prétexte qu’ils étaient victimes d’un complot, le gourou avait réussi à les dépouiller de tous leurs biens, notamment du domaine familial de Monflanquin, pour une valeur estimée à 4,5 millions d’euros.

Provoquant la rupture avec leur environnement et l’exclusion des « gêneurs », il avait pratiqué, selon le tribunal, une déstabilisation mentale, « distillant des propos dénigrants et jouant sur les rivalités » entre membres de la famille, « fâchant des couples » ainsi que des parents avec leurs enfants. Il était allé jusqu’aux atteintes à l’intégrité physique, notamment envers Christine de Védrines.

Selon Le Figaro, le jugement du tribunal, « présidé avec brio » par Marie-Elisabeth Bancal, constitue « un imprimatur judiciaire », entérinant en effet la dépendance psychologique des onze membres de la famille Védrines à Thierry Tilly. Les juges ont ainsi considéré que les conséquences étaient « gravement préjudiciables » tant dans le domaine patrimonial que dans ceux de la santé ou de la vie affective.

Un procès hors norme

Ce procès de deux semaines a été qualifié de hors normes à plus d’un titre : dossier d’instruction de 10.000 pages dont 133 pour la seule ordonnance de renvoi devant les juges du correctionnel, longueur de l’enquête, rebondissements, personnalité des victimes, profil des deux prévenus et aspect « atypique » de la manipulation mise en place.
Les premiers jours du procès, Thierry Tilly, s’était « mis en scène », provoquant « effarement, rires et consternation» dans l’assistance, noyant le tribunal sous les détails, méprisant les parties civiles et se targuant d’avoir des amis célèbres. Un mythomane ou un stratège ?
Ce fut l’une des questions de ce procès. Marie-Elisabeth Bancal, la présidente du tribunal, en était arrivée à prier Thierry Tilly d’arrêter de « saouler» le tribunal. Source : Europe1, 24.09.2012 & TF1 News, 27.09.2012

Cependant, ni Jacques Gonzalez, ni « son mentor » Thierry Tilly ne pourront rembourser les dommages et intérêts, même si le tribunal a ordonné la confiscation de tous les biens saisis, entre autres, une BMW, cinq montres Rolex, deux montres Patek Philippe et 374 bouteilles de vin de grands crus et de champagne…

A l’énoncé du verdict, Thierry Tilly a aussitôt réagi, déclarant que cela « ne faisait que commencer », affirmant bénéficier de l’habeas [1] « en tant que citoyen anglais » et évoquant sa volonté d’aller devant la Cour de justice européenne.

Outrage à magistrat

Le 10 mai 2011, Thierry Tilly avait comparu devant le tribunal correctionnel de Libourne pour avoir adressé, du 1er avril au 30 juin 2010, une vingtaine de courriers à Stéphane Lorentz, l’un des deux juges d’instruction en charge du dossier.
Le président du tribunal, Gérard Denard, avait lu des extraits à l’audience. Thierry Tilly y injuriait le juge, le qualifiant entre autres de « petit télégraphiste » doté d’un « appétit d’autorité sans limite ». Il n’hésitait pas à le menacer, donnant là un aperçu de sa personnalité « entre suffisance, agressivité et phrases méprisantes décochées d’un ton dédaigneux ».
Il avait alors été condamné à six mois de prison ferme pour outrage à magistrat. Source : AFP, 10.05.2012 & Sud-Ouest, 11.05.2012

Le 22 novembre 2012, Me Novion et Me Dantin, avocats de Thierry Tilly et de Jacques Gonzalez ont annoncé un appel du jugement. Le parquet a également fait appel.

Source : Romandie.com / Sipa, & Libération.fr & LeFigaro.fr & Challenge.fr, 13.11.2012 & L’Express, 22.11.2012

[1] Habeas Corpus Act : Institution anglo-saxonne (dont l’origine remonte à 1679) a pour objet de garantir la liberté individuelle de tout citoyen en le protégeant contre les arrestations et les détentions arbitraires. (Source Larousse.fr).