Les Occidentaux « cherchant à faire vivre » artificiellement un chamanisme, se voient « contraints » d’inventer un néo-chamanisme en puisant à différentes sources pour élaborer « leurs croyances ».
Et dans ce cadre du néo-chamanisme occidental, «nombreux sont les authentiques manipulateurs à bricoler des cérémonies rituelles » tout en développant une mécanique d’emprise mentale sectaire !
En 1951, la connaissance occidentale du chamanisme a été marquée par l’analyse de Mircea Eliade[1] dans son ouvrage « Le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase », venu « populariser des données de référence » sur le sujet. Pour l’ethnologue contemporain, Michel Perrin, la définition du chamanisme d’Eliade est mot pour mot « celle du néo-chamanisme actuel tel qu’il est pratiqué par certains Occidentaux ».
Pour Guy Rouquet, du site Psychothérapie Vigilance, ce fut la publication des premiers ouvrages de Carlos Castaneda qui constitua « l’acte de naissance » du néo-chamanisme. « De même que le chamanisme est pluriel, le néo-chamanisme se décline en plusieurs volets », mais le recours aux hallucinogènes n’y est pas automatique, observe-t-il. Le sujet est incité « à trouver sa vraie nature, son maître intérieur, son esprit allié, son animal de pouvoir »…
L’univers de la contre-culture des années 60 et 70 « fut un terrain propice à l’expérimentation des transes chamaniques dont l’une des portes présumée serait la consommation de plantes hallucinogènes ». Par son refus de la rationalité scientifique et « son mysticisme anti-Lumières affiché », l’œuvre de Mircea Eliade fut ainsi « précieuse » à la contre-culture émergente. Avec des auteurs tels que lui, « certains beatniks, hippies, écologistes et New-Agers trouvaient une analyse intellectuelle fustigeant la modernité, le désenchantement du monde, et plus largement, l’Occident ».
La contre-culture fit du chamane un personnage capable de régenter l’ordre du monde « intégralement vivant » en le simplifiant. Avec le chamane traditionnel, en effet, les néo-chamanistes disposent « d’une figure humaine capable de régenter, à elle seule, l’harmonie du réel ». Mais avec lui, « la liberté n’est pas le fruit du consentement mutuel des individus mais une structure codifiée par cette unique figure tutélaire qui décide et édicte, seul, un grand nombre de règles pour le groupe ». Ces aspects sont « séduisants » pour les intellectuels anti-Lumières.
Reste que les pratiques du néo-chamanisme, proches à bien des égards des préceptes du New Age, sont propices à de très nombreuses dérives sectaires « contre lesquelles la Miviludes met en garde ».
Il existe en effet une « porosité » entre les adeptes occidentaux du New Age et ceux du néo-chamanisme : les matrices sont, sur de très nombreux points, similaires. Même si la Miviludes informe des risques qu’encourent les pratiquants du néo-chamanisme, cela n’empêche pas des revues d’en faire la promotion ou de trouver « des relais de l’industrie culturelle » tel le réalisateur Jan Kounen. Ce dernier est un adepte du néo-chamanisme auquel il a consacré films et ouvrages apologétiques, notamment son documentaire « D’autres mondes », fruit de sa rencontre avec les Shipibo d’Amazonie péruvienne et leur plante hallucinogène, l’ayahuasca. Son film, « pensé comme une invitation au voyage », renoue avec la tradition de la contre-culture anti-Lumières des seventies. A bien des égards, « D’autres mondes » peut être considéré « comme une invitation à la consommation de l’ayahuasca ». Jan Kounen viendra ensuite témoigner sur la chaîne de télévision LCI, dans les magazines culturels urbains en vogue ou sur le plateau de Thierry Ardisson, « de ses expériences mystiques hallucinées », accréditant ainsi que la consommation d’un stupéfiant est « une médecine traditionnelle » et une « ouverture vers le monde ».
Enfin avec l’émergence du néo-chamanisme est également apparu le tourisme chamanique, dédié aux Occidentaux. Ils peuvent ainsi contourner l’interdiction d’ingérer des décoctions psychotropes hallucinogènes et séjourner dans « des villages vacances » appelés « centres de médecine chamanique ». Mais de ces voyages qui se veulent initiatiques, les Occidentaux ne reviennent pas tous sains et saufs.
Le comble est que cette nouvelle manne financière liée au « tourisme initiatique » en Amazonie déstabilise l’économie locale des contrées amazoniennes. Car l’afflux des devises des Occidentaux, qui bénéficient souvent au chef de village, incite les Indiens à se consacrer exclusivement à cette activité très lucrative, au détriment du développement d’une véritable économie.
Source : Golias, Jean-Baptiste Malet, janvier-février 2013
[1] Des événements « méconnus » de la biographie de Mircea Eliade ont récemment révélé qu’il fut sympathisant d’un « mouvement d’extrême droite fasciste sanguinaire ». Il était, entre autres, un farouche ennemi des Lumières…