En 2000, à la suite de démantèlement d’Aum, d’anciens membres se sont rapidement réorganisés en un groupe appelé Aleph. D’autres ont rejoint un groupe dissident dirigé par l’ancien porte-parole de la secte, Fumihiro Joyu, appelé Hikari no Wa (Cercle de Rainbow Light). D’autres enfin ont tenté de reprendre leur liberté. Trois personnes, luttant contre ce mouvement depuis plus de 20 ans, ont révélé combien il était difficile d’en sortir.
Hiroyuki Nagaoka a compris qu’il se passait quelque chose quand son fils, Takahashi, lui a réclamé son héritage de son vivant. Plus tard, il trouvera une lettre dans lequel le jeune homme déclarait qu’il s’engageait à donner tout l’argent dont il hériterait à « Saint Maître Asahara ».
À partir de ce jour, Hiroyuki Nagaoka s’est engagé dans une bataille pour libérer son fils de l’emprise de la secte et de son gourou. Il a constaté que les adeptes étaient devenus incapables de distinguer le bien du mal, qu’ils étaient des marionnettes à la solde d’un assassin. Aidé d’un journaliste et d’un avocat, il fonde en octobre 1989 une association de soutien aux familles de membres de la secte. L’avocat, Tsutsumi Sakamoto, spécialiste des Droits de l’homme, avait donné l’alerte sur les activités suspectes de la secte. En novembre 1989, il s’apprêtait à déposer plainte au civil contre Aum Shinrikyo quand il disparut mystérieusement avec sa femme et son fils âgé d’un an. Ce n’est qu’après les attentats de Tokyo que la police a appris qu’ils avaient été tous trois assassinés, quelques heures après leur enlèvement.
Il ne fallut pas longtemps avant que Nagaoka devienne à son tour une cible d’Aum. En janvier 1995, les membres de la secte – y compris son fils Takahashi – ont tenté de le tuer par pulvérisation de gaz neurotoxique. Il s’en est sorti mais doit encore aujourd’hui être suivi médicalement.
À 76 ans et avec ses problèmes de santé, Nagaoka ne peut plus être aussi actif qu’auparavant mais tant que la secte Aum existera, il poursuivra son combat. Il estime qu’il est du devoir de tous les parents de s’assurer que leurs enfants deviendront des adultes capables de penser par eux-mêmes.
Takahashi Nagaoka avait rejoint Aum en 1987 alors qu’il étudiait la philosophie indienne. Fasciné par l’hindouisme et le bouddhisme, il a été surpris par les idées apparemment progressistes de la secte. Il tombe rapidement sous le charme du gourou Ashara.
Il démarre l’étude des enseignements d’Aum et prend part aux cours de yoga, puis à un stage durant lequel les limites physiques sont testées. Les participants étaient prêts à tout pour montrer leur dévouement et devenir membre à part entière. Takahashi donne tout à la secte et travaille sans relâche. Malgré l’absence de revenus, il fait des dons à Aum, quitte à sauter des repas. Il doit d’ailleurs n’en prendre qu’un par jour et ne dormir que quelques heures chaque nuit.
Rapidement, on le responsabilise à l’intérieur du groupe. Il est chargé des relations avec les médias et doit s’opposer à son père qui lutte, de son côté, pour soutenir les parents des enfants endoctrinés par Ashara. Comme tous les membres de la secte, il est convaincu que les parents sont inutiles parce qu’ils appartiennent à la vie présente. Il est persuadé que les liens sont plus forts entre les membres du groupe car les connexions se font au niveau spirituel dans les vies passées, présentes et futures.
Il décrit le déclic qui l’a aidé à sortir de la secte comme une sortie d’amnésie. Il a réalisé le danger qu’il courait et celui qu’il faisait courir à son père inlassablement investi dans son association.
Depuis il a rejoint l’association de son père et a réussi à sortir 30 adeptes du groupe.
Taro Takimoto a pris le relai lorsque son ami et confrère, Tsutsumi Sakamoto, a disparu. L’avocat a rapidement constaté que tout le monde pouvait tomber sous l’influence de ce groupe. « La plupart des jeunes adeptes d’Aum sont honnêtes, des gens qui travaillent dur ». Par la suite, il a démontré qu’Ashara était un manipulateur notamment en dénonçant le trucage de la photo du gourou en « lévitation ».
Takimoto s’est rapidement retrouvé sur la liste noire d’Asahara. Aum a essayé de le tuer à quatre reprises. Il a éloigné sa famille.
Takimoto et Nagaoka sont d’accord pour affirmer que l’attentat du métro aurait pu être évité si la police avait écouté leurs avertissements et avait pris les mesures appropriées.
Takimoto s’occupe aujourd’hui de plus de 100 anciens membres de la secte. Certains ont repris des cours du soir parce qu’ils étaient jeunes lorsqu’ils sont entrés dans la secte et n’ont pas terminé leurs études ; d’autres ont trouvé un emploi, beaucoup dans le domaine du bien-être. Pour la plupart, le retour dans le monde réel n’a pas été facile. Un tiers est suivi pour dépression, d’autres se sont suicidés. Comme Nagaoka, Takimoto estime que la seule personne qui doit être exécutée pour ces crimes est Asahara qui porte l’entière responsabilité de ces crimes odieux. Vaniteux et assoiffé de pouvoir « Asahara est un homme qui est gonflé de désirs mondains », dit Takimoto. « Il a une forte envie de pouvoir et sa haine envers la société est profonde ». Son exécution serait la seule façon de fermer ce triste chapitre.
(Source : The Japan Times, 14.03.2015)