La folie des « Golden bonzes »

En Thaïlande, malgré les scandales financiers et sexuels qui frappent plusieurs moines bouddhistes devenus de véritables idoles multimillionnaires, les partisans d’une réforme se heurtent au conservatisme d’un clergé attaché à ses privilèges. « Que se passe-t-il au royaume des robes safran ? »

D’importantes sommes d’argent circulent de plus en plus dans les monastères. Les Thaïlandais font des offrandes aux moines en échange d’une promesse d’un meilleur karma, d’une bénédiction nuptiale ou d’un soulagement de conscience. Cette pratique aurait rapporté plus de 3 milliards d’euros et entraînerait les déviances de nombreux moines censés refuser les transactions d’argent.

Dhammakaya, situé à Bangkok, est le plus grand temple bouddhiste thaïlandais ; ce complexe de plus de 4 kilomètres carrés abrite plus de 3 000 moines. Début 2015, le leader du temple, Phra Dhammachayo, a été impliqué dans un vaste scandale financier. Le dirigeant d’une banque coopérative (Klongchan Credit Union) a été accusé d’avoir détourné plus de 20 millions d’euros au bénéfice de Dhammakaya. Acceptant de rendre une partie de l’argent, Phra Dhammachayo a réussi à échapper aux poursuites judiciaires. Pourtant, il continue d’attirer des fidèles du monde entie venus méditer et espérant apercevoir leur leader. Alors qu’il prône un total détachement du monde, il affiche un matérialisme outrancier. Contre de l’argent, Phra Dhammachayo les autorise à s’assoir à ses côtés durant les cérémonies ou leur promet la richesse dans leurs vies futures. Le moine serait multimillionnaire et possèderait des sociétés dans l’immobilier, le bâtiment, le secteur minier ou le commerce des armes…
 

D’autres moines ont suscité la controverse. Wat Saket, dirigeant d’un des plus vieux monastères du pays, a été accusé d’avoir détourné 500 000 euros destinés aux funérailles de son prédécesseur. Un autre moine a été arrêté pour avoir investi près d’un million d’euros, provenant de dons de fidèles, sur les marchés financiers. Enfin, une autre affaire implique Phra Wiraphol Sukphol, « l’homme qui aimait se faire prendre en photo avec ses lunettes noires et son sac Vuitton ». Ce moine « jet-setteur » est en cavale, il est soupçonné d’avoir détourné plus de 24 millions d’euros.
L’argent est devenu la motivation première de tous ces moines dévoyés. Pour mettre fin à ces dérives d’une ampleur grandissante, le clergé bouddhique a créé une « police des moines ». Phra Rachapariyat Wethi dirige une de ses brigades : « Nous avons récemment incarcéré un jeune disciple qui vendait des amulettes sous l’auvent d’une boutique ». Il raconte également faire la chasse aux moines entretenant des relations sexuelles avec des femmes car il s’agit d’un péché capital. Une hotline, ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre a également été ouverte ; elle reçoit une dizaine de signalements par mois. Mais l’ensemble de ses données n’est pas centralisé, « un moine défroqué peut se refaire une virginité dans un autre monastère, à l’autre bout du pays ».

Phra Buddha Issara prône une profonde réforme du système. Il veut obliger les temples à tenir une comptabilité et mettre fin à la centralisation excessive du clergé ; tous les pouvoirs sont concentrés dans les mains d’une vingtaine de moines. Ses propositions suscitent beaucoup d’hostilité de la part de ces pairs. Il a été menacé à plusieurs reprises mais continue à mettre en cause les « Sages » de la Sangha (Conseil suprême au sommet de la hiérarchie).
Le sénateur Paiboon Nittiwan a proposé que les moines utilisent leur carte d’identité pour régler leurs achats. Encouragés par les plus « respectables », plus de 20 000 moines ont défilé dans la rue pour s’opposer à cette proposition.
Pour le théologien Sinchai Chaojaroenrat, le clergé thaïlandais veut devenir le centre mondial du bouddhisme. « Même s’il réprouve les méthodes marketing » d’un centre tel que celui de Dhammakaya, « il se rend compte qu’ils poursuivent le même but : donner au bouddhisme le plus grand rayonnement ».

Phra Dhammachayo a déclaré que « le monde était trop petit pour lui ». Il se considère comme un élu, « comme Hitler qu’il admire ». Mano Laohavanich, maître de conférences à l’université Thammasat de Bangkok, estime que le moine veut « conquérir la planète par la méditation ». Comptant déjà plus de trois millions de fidèles Phra Dhammachayo s’implante progressivement dans de nombreux pays. Il a ouvert une soixantaine de filiales dans le monde, dont une en France, à Strasbourg.

(Source : l’Express, 02.09.2015)