Justice interne des Témoins de Jéhovah et victimes d’infractions pénales

Mi-novembre, un documentaire diffusé sur la chaîne norvégienne NRK suivi d’un article paru sur son site ont suscité un tel émoi en Norvège que le député socialiste Petter Eide a décidé d’interpeller la ministre de la Justice, Monica Mæland, sur les pratiques judicaires des Témoins de Jéhovah.

Informés de l’existence du documentaire, les Témoins de Jéhovah ont en vain tenté d’empêcher sa diffusion.

La première victime à s’exprimer, Benedikte, a été violée dans son sommeil lors d’une fête réunissant de jeunes Témoins de Jéhovah. Après avoir informé la direction de la* congrégation de l’incident, elle a été convoquée en comité judiciaire, le tribunal interne du mouvement dont le jury est composé par des « anciens », des hommes qui ont reçu des rôles de premier plan dans la congrégation. Les cinq hommes présents ont voulu tout savoir du viol et lui ont posé des questions très intimes. Elle a dû subir quatre interrogatoires pour aucun résultat. La jeune femme, qui a fini par quitter le mouvement, n’a jamais rapporté les faits à la police car, explique- t-elle, « La plus grande tromperie au monde pour les membres est de parler à la police. »

La justice des Témoins de Jéhovah ne vise pas à déterminer la culpabilité des auteurs de crimes et les punir, mais à vérifier que le comportement des adeptes ne viole aucune des normes morales de l’organisation. Ces principes et la manière dont les violations doivent être traitées sont tous consignées dans un ouvrage interne intitulé « Faites paître le troupeau de Dieu ». Tous les « anciens » en reçoivent un exemplaire qui doit être obligatoirement rendu en cas de défection. Parmi les affaires devant être examinées par le comité judiciaire, « celles relevant de l’immoralité sexuelle – appelée « porneia » chez les Témoins de Jéhovah » – sont de la plus haute importance.

Les informations consignées lors du comité sont stockées dans des « enveloppes bleues » et conservées en double exemplaire, une localement et l’autre au siège central des Témoins de Jéhovah aux Etats-Unis.

A l’issue du comité, si les anciens ne concluent pas au viol, les conséquences pour ceux qui l’ont dénoncé peuvent être énormes et aller jusqu’à l’excommunication.

Gry Helene Nygård en a fait l’amère expérience. S’étant confiée au comité sur un viol subi après une soirée, elle a été déclarée coupable d’avoir commis de la pornographie et a été expulsée en 2018. Ce qui a eu pour conséquence de la couper de toutes ses relations dont ses enfants.

Ayant utilisé tous les recours internes pour être réintégrée, Gry a porté l’affaire devant le Conseil de conciliation, qui a conclu que l’exclusion était invalide. Mais les Témoins
de Jéhovah n’en sont pas restés là et ont répondu en poursuivant Gry. « Notre tâche en tant que berger est de garder la congrégation propre selon ce que la Bible nous a donné comme conseils » a expliqué un ancien lors du procès qui s’est tenu en février 2020. « Un jury religieux n’est nommé que si un grave péché biblique est commis. Nous voyons cela comme une question religieuse, qui est en dehors de ce que les tribunaux doivent faire », a déclaré le chef de la congrégation lors de la même audience. Le tribunal= a statué en faveur des Témoins de Jéhovah, reconnaissant qu’une « communauté religieuse peut fixer des conditions de vie plus strictes » que ce qui est admis dans le reste de la société. Gry a fait appel de la décision. La Cour d’appel rendra son jugement en janvier 2021.

Linda, une troisième victime, s’est retirée du groupe en 2019, après avoir essayé de faire reconnaître le viol qu’elle avait subi de la part de son mari au début des années 2010.
L’homme qui avait admis les faits a finalement changé de version. Convoquée à plusieurs reprises en comité judiciaire, Linda n’a pas été crue et aidée. Au contraire, elle a fait l’objet de pressions de la part des aînés pour ne pas divorcer. Durant toute l’affaire, elle n’a reçu aucun soutient de sa famille qui s’est détournée d’elle après son départ. Elle non plus n’a jamais contacté la police.

Svenn Andre Torland Haugland, un ex-adepte qui a officié comme « ancien » dans sa congrégation, confirme les pressions subies par les membres afin d’éviter d’ébruiter les affaires gênantes hors des congrégations. Selon lui, l’État norvégien devrait s’intéresser au système des tribunaux internes des Témoins de Jéhovah qu’il considère « terrible et brutal frôlant même l’intimidation organisée ». Il explique que « chez les Témoins de Jéhovah, les gens sont jugés selon la Bible. Si vous êtes reconnu coupable et que vous ne vous repentez pas, vous êtes condamné à être privé de tout contact avec votre famille et vos amis pour toujours. C’est très brutal. »

Les Témoins de Jéhovah, quant à eux, affirment avoir un devoir de confidentialité envers leur fidèles comme tout autre prêtre.

(Source : NRK.no, 20.11.2020)

  • Auteur : Unadfi