Dérives sectaires : l’emprise sur les institutions

Les mouvements sectaires ne s’attaquent pas qu’aux individus vulnérables. Ils pénètrent aussi « des univers hautement instruits » et « leur mainmise », tentaculaire, est mal mesurée par les organes de surveillance.


Georges Fenech, ancien président de la Miviludes, rappelle la « mésaventure » qu’il a vécue en 2009. A l’époque, la Scientologie avait comparu devant le tribunal correctionnel de Paris pour « des faits d’escroquerie en bande organisée et exercice illégal de la pharmacie ». Le procureur avait requis sa dissolution. Sauf qu’entre temps, la législation avait été modifiée et que l’alinéa « dissolution pour les personnes morales en matière d’escroquerie » avait disparu ! A ce jour encore, cette disparition reste « trouble » et, pour Georges Fenech, « il y a eu manipulation. De qui ? Pourquoi ? » Il rappelle que quelques années auparavant, un tome et demi d’un dossier de la Scientologie s’était mystérieusement envolé du tribunal de Paris…
Aujourd’hui, il est avéré que la Scientologie « étend son influence par une présence tentaculaire jusqu’au cœur du pouvoir, en plaçant ses adeptes à des postes clés, dans tous les domaines… ».

Outre l’infiltration « probable » du ministère de la Justice, c’est par le biais de l’informatique que la Scientologie avait infiltré le ministère de l’Intérieur puis les policiers du Raid dans les années 90. Il s’agit là d’un « moyen efficace » pour prévenir toute action qui mettrait en péril son existence. Car un mouvement sectaire est « convaincu qu’il n’a pas à obéir aux règles de la société » car il est, par essence, différent et supérieur, explique Jean-Pierre Jougla de l’UNADFI.

La mouvance sectaire est « une immense nébuleuse ». Il existe d’un côté, les grandes sectes internationales « qui s’appuient sur leurs dogmes fondateurs tout en adaptant leurs discours aux besoins de la société, et d’un autre côté, des gourous isolés qui créent leur propre communauté d’une vingtaine de personnes. Comme le rappelle la présidente de l’UNADFI, Catherine Picard, les conséquences pour les adeptes sont dommageables car l’emprise mentale les amène, entre autres, à la rupture familiale et à se plier à des exigences financières démesurées…

Les domaines de la santé et de la formation professionnelle sont le plus directement touchés par les dérives sectaires. Les chômeurs constituent ainsi « des proies idéales », notamment à travers Pôle Emploi que certains considèrent comme un potentiel vecteur de recrutement ! Dans le répertoire ROME (Répertoire opérationnel des métiers et des emplois), créé en décembre 2009, il leur est proposé « des reconversions dans toutes les professions ayant trait au coaching et au bien-être ». Les pouvoirs publics ont été obligés de mettre en place des grilles de lecture sur les dérives sectaires pour tenter de« limiter les dégâts ».

Le plus dangereux pour Georges Fenech reste la dérive thérapeutique à caractère sectaire avec le marché très important des médecines parallèles. La réflexologie, la kinésiologie et le reiki ont ainsi droit de cité au sein de certains hôpitaux de France, ce qui revient à les légitimer ! L’article fait référence à l’enquête d’Olivier Hertel dans « Sciences et Avenir » d’octobre 2012. Le journaliste y révélait que « ces techniques de réharmonisation énergétique » pourraient être sans conséquence « s’il s’agissait simplement de relaxation ». Or, un document suggère qu’elles permettent « la guérison du cancer et autres maladies graves ».

Par ailleurs, le fasciathérapeute français, Danis B. et ses disciples oeuvrent dans au moins cinq hôpitaux français révèle encore Olivier Hertel. Leur pratique, la fasciathérapie, « soutient l’existence dans le corps d’un mystérieux mouvement animant les fascias », ces tissus conjonctifs qui délimitent les organes. Ce mouvement imaginaire aurait un impact sur la santé. Le 22 juin 2012, le Conseil national de l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes a pourtant rappelé que la fasciathérapie n’est pas reconnue par la profession.

Enfin, au CHU de Nantes, Lise C, chercheur au CNRS, a vainement tiré la sonnette d’alarme en prenant position contre la mise en place d’un diplôme d’hypnose ericksonienne, une thérapie proche de la programmation neuro-linguistique (PNL), bien éloignée de l’hypnose médicale utilisée pour les anesthésies. Sa hiérarchie ne l’a pas écoutée.

Autre infiltration révélée par le journaliste Olivier Hertel : celle des universités. Il a ainsi répertorié dix-sept thèses portant sur la fasciasthérapie dans six universités ainsi que dans les laboratoires du CNRS, de l’Inserm et d’AgroParisTech ! Quant à l’Université d’Angers, les étudiants en médecine doivent lire un ouvrage vantant la thérapie chamanique, ce qui sous-entend que si la médecine « classique » n’a pas de réponse, la « médecine parallèle » s’offre comme l’ultime recours. Enfin, dans cette même université, un grave conflit oppose un directeur de l’Inserm à un professeur de médecine proche d’Omalpha, un mouvement ésotérique mystique fondé par un canadien. Des investigations ont mis en évidence les « accointances » d’Omalpha avec la secte russe Ashram Shambala, dont le gourou est actuellement jugé en Russie pour des activités criminelles.

Source : Paris Match, Isabelle Léouffre, 17.12.2012