Près de la moitié des signalements de dérive sectaire que reçoit la Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires (MIVILUDES) relèvent du domaine de la santé, et la tendance ne fait que s’amplifier selon son président, Serge Blisko. Elle recense plus de 300 pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique, 1 800 centres de formation dans le domaine de la santé susceptibles de présenter un risque de dérive sectaire, 4 000 psychothérapeutes autoproclamés sans formation et non inscrits sur un registre professionnel. Il est impossible, aujourd’hui, d’évaluer le nombre de pseudo-thérapeutes en France. L’ordre des médecins signale également que près de 3 000 médecins sont en lien avec la mouvance sectaire.
Ce constat est d’autant plus alarmant que près de quatre français sur dix ont recours aux médecines alternatives, dont 60% de malades du cancer. Catherine Picard, présidente de l’UNADFI constate que « Ce sont des personnes qui ont une demande légitime de réponses et de soutien, mais qui reçoivent une réponse d’escroc ». « Cela les place, dit-elle, dans une situation de vulnérabilité accrue face au risque d’emprise. Celui qui apporte alors une promesse de guérison, qui soulage l’angoisse de la mort et de la peur de la maladie est forcément écouté avec attention. Il lui suffit ensuite de crédibiliser ses promesses avec un fatras de termes scientifiques, une fonction de soignant usurpée… ou pas, d’ailleurs ».
La majorité de ces « soignants » alternatifs conseillent souvent à leur patient l’arrêt de leur traitement en décrédibilisant leur médecin traitant. Les conséquences peuvent être dramatiques et conduire au décès, comme l’illustre le cas de Steve Jobs, le fondateur d’Apple. A la suite d’un diagnostic de cancer du pancréas en 2003, il a adopté un traitement à base de jus de carotte et d’acupuncture, sur les conseils de « spiritualistes ». Des années plus tard, dans une série d’entretiens avec son biographe, Walter Isaacson, il a regretté d’avoir refusé le traitement initial proposé par ses médecins. « Nous voyons des patients présentant des cancers avancés après avoir essayé initialement des médicaments alternatifs lorsque leurs cancers étaient à un stade plus curable », dit le Pr Skyler Johnson, auteur d’une étude sur la survie dans certains cancers.
L’efficacité des médecines alternatives est difficilement démontrable scientifiquement car c’est le ressenti du patient qui sert de preuve. Il est très délicat de mettre en oeuvre des études cliniques. En effet, « cette médecine se voulant fondée sur le savoir-faire propre à chaque praticien » cela rend difficile l’établissement de critères objectifs d’étude.
En France, chacun est libre de croire ce qu’il veut, même en matière de santé, mais ainsi que l’explique le Dr Patrick Bouet, président du Conseil national de l’Ordre des médecins, seul les médecins peuvent établir des diagnostics et des traitements. Si la chiropraxie et l’ostéopathie ont été légalisées par la loi Kouchner de 2002, la majorité de ces pratiques n’ont aucun encadrement légal et la plupart des thérapeutes ne sont pas des professionnels de santé, malgré leur regroupement en « syndicats » et l’argument de la « formation diplômante ». Nombreux sont ceux qui, sous couvert de bien-être, flirtent avec l’exercice illégal de la médecine dans leur pratique.
« Il suffit de parcourir Internet pour voir le nombre de pseudo-praticiens qui exercent en dehors de tout cadre réglementé. Ils touchent les moins bien informés, les plus vulnérables à qui ils ôtent tout discernement en promettant des traitements miraculeux », constate Laure Telo, la présidente du Centre contre les manipulations mentales d’île de France lors du colloque annuel de l’association consacré, cette année, aux dérives des médecines alternatives.
Toute dérive thérapeutique n’est pas sectaire, mais le devient si le thérapeute demande d’interrompre tout traitement conventionnel au profit de méthodes non validées, de rompre toute relation avec l’entourage familial, amical et professionnel.
(Sources : Le Figaro Santé, 20.10.2017 & Notre Temps, 12.10.2017)