Pourquoi la méfiance ?

Fin mars 2017, la Miviludes a publié dans son rapport annuel l’étude de Lucie Guimier : « La résistance aux vaccinations : d’un défi de santé publique à un enjeu de société ».

Essayant de comprendre les causes de cette défiance, Lucie Guimier a basé sur travail sur l’étude de plusieurs épidémies de rougeole, dont celle de 2011 qui toucha 15 000 personnes en une année. A cette date, la France était le sixième pays au monde le plus affecté par la maladie.

Analysant, à partir des bulletins épidémiologiques hebdomadaires (BHE), la localisation des récentes épidémies de rougeoles en France, elle a constaté que les principales populations dont la couverture vaccinale était faible sont des groupes religieux et spirituels. Deux d’entre eux ont plus particulièrement retenu son attention : la Fraternité Saint Pie X et l’Anthroposophie. En ce qui concerne la Fraternité Saint Pie X, « l’épidémie s’est vraiment propagée à partir des écoles et des camps de vacances de la Fraternité Saint Pie X ». Cela résulte selon L. Guimier d’un faible taux de vaccination au sein du groupe.

En ce qui concerne, l’Anthroposophie, elle a constaté une forte défiance des adeptes envers la vaccination. En Europe, plusieurs écoles Steiner ont été des foyers d’épidémie. En particulier aux Pays-Bas en 2008. Un père de famille dont les enfants étaient dans une école Steiner a expliqué que « dans ce milieu, vacciner est perçu comme une faiblesse du corps : si tu te vaccines tu vas devenir faible ». « En Anthroposophie, on veut laisser faire la nature » ajoute-t-elle.

La chercheuse en conclut que « ces deux groupes partagent la même défiance envers la vaccination, » […] « pour eux c’est une affaire de spiritualité poussée à l’extrême » et « leur implantation territoriale correspond à des zones où la vaccination contre la rougeole est très faible ». Elle nuance néanmoins son propos en ce qui concerne l’épidémie qui fait rage depuis novembre 2017, les principaux foyers détectés émanant de camps de gens du voyage.

Les groupes spirituels ne représentent qu’une partie des anti-vaccins et la chercheuse évoque aussi la très forte influence, sur internet, du professeur Joyeux dont la pétition lancée en 2015 alertait sur les des vaccins hexavalants mis sur le marché, selon lui pour « une histoire de gros sous ». A ce jour, elle aurait recueilli plus d’un million de signatures. Très en vogue, le médecin anime des conférences qui attirent un public aux profils variés, mélangeant adeptes des médecines douces, de « l’Ecologie profonde » et des traditionnalistes proches de l’extrême droite. Les points communs entre ces tendances : une idéologie conservatrice et une crainte du transhumanisme, toute altération du corps humain étant jugée par eux « contre nature ».

Son discours anti-vaccin trouve un écho auprès des complotistes. Exploitant l’inquiétude des jeunes parents sur les vaccins, Luc Montagnier et lui ont, lors d’une conférence en novembre 2017, tenu un discours complotiste et anti scientifique, dénonçant pêle-mêle « une dictature vaccinale », « une manipulation de la population » et prétendant que certain vaccins seraient à l’origine de morts subites du nourrisson.

Les positions controversées d’Henri Joyeux n’ont pas manqué d’alarmer ses pairs et en juillet 2016 la Chambre disciplinaire ordinale de l’Ordre des médecins du Languedoc-Roussillon l’a radié en première instance. Ayant fait appel de cette décision, il comparait à nouveau depuis le 24 mai devant les instances disciplinaires du Conseil de l’Ordre. La décision finale devrait intervenir courant juin. Mais en cas de radiation, Henri Joyeux a d’ores et déjà prévenu, il portera plainte devant le Conseil d’Etat et s’il le faut devant la Cour européenne des droits de l’Homme.

Pour beaucoup de ces militants, la vaccination est perçue comme un danger et son refus est une affirmation de leur liberté individuelle face au pouvoir supposé de « big pharma » qu’ils accusent d’empoisonner sciemment la population.

Ils diffusent leur discours militant sur internet à travers des milliers d’articles et de vidéos sans fondements scientifiques, au contenu anxiogène, attirant un public dont la confiance dans les institutions s de santé a été mise à mal par plusieurs scandales sanitaires.

Pour évaluer l’ampleur de ce phénomène et son danger pour la santé publique, l’agence de conseils en politique de santé Nile et le cabinet de conseil en communication Antidox, ont étudié pendant trois mois les publications sur la vaccination diffusées sur le web francophone portant. Ils en ont extrait 840 000. Sur la totalité 250 000 représentent des partages d’articles sur Facebook et 46 000 des tweets. Les messages anti vaccination étaient majoritaires.

Le sociologue Jocelyn Raude qui s’est intéressé à ce phénomène distingue trois principaux courants parmi les anti-vaccination : ceux qui appartiennent à des courants politiques (extrême droite et extrême gauche), les conspirationnistes et enfin les adeptes des médecines alternatives. Il constate que Facebook est le terrain privilégié de leur prosélytisme, ce qui confirme l’étude de Nile et d’Antidoxe. Henri Joyeux fédère ainsi 150 000 adhérents, propageant ses thèses anti-vaccination tout en faisant la promotion de séjours « détox » et « bioénergétiques ».

Avec près de 100 000 vidéos sur le sujet, YouTube est également un terrain d’élection pour les anti-vaccins dont les vidéos sont bien plus nombreuses que celles des pro-vaccins.

Face à cet enjeu de santé publique l’Etat, mais aussi des militants pro-vaccinations ont décidé de réagir. Les autorités sanitaires ont payé pour voir leur site de prévention et d’information mieux référencé sur Google.

Deux Youtubeurs, Julien Ménielle et Bruce Benamran ont été sollicités pour concevoir des vidéos pédagogiques rétablissant les faits. Leurs vidéos ont été visionnées 800 000 fois en cinq mois.

Les initiatives privées se multiplient aussi. En septembre 2017 une dizaine de scientifiques se sont regroupés pour créer un groupe Facebook destiné à répondre aux interrogations sur la vaccination « Vaccin France Information et Discussions ».Quant au cardiologue Jérémy Descoux, avec sa chaîne Asclépios, il contribue à offrir des informations scientifiques de qualités, mais rapporte avoir été la cible d’attaques violente de militants anti vaccins après deux vidéos sur le sujet.

(Sources : France Info, 03.05.2018, Dailymail, 09.05.2018, Le Figaro, 16.05.2018, Europe 1 & 24.05.2017)