Un enchainement de rencontres qui mènent à la mort

Bernard Lachance, ancien chanteur québécois reconverti dans l’élevage de chiens, est mort du sida au mois de mai, après une lente descente aux enfers. Il n’avait que 46 ans.

Séropositif, il avait abandonné sa trithérapie sous l’influence de plusieurs thérapeutes et ne jurait plus que par des traitements naturels pour se soigner. C’est après avoir cru à un complot sur un prétendu génocide d’homosexuels via le sida qu’il en est arrivé là. Il s’était illustré, durant la pandémie de Covid-19, en partageant publiquement ses théories conspirationnistes sur le sida. En un an, il était devenu l’un des complotistes les plus populaires du Québec et aurait été si convaincant que plusieurs autres séropositifs québécois et français auraient arrêté leur traitement sous son influence.

Une série de mauvaises rencontres

Selon sa famille la radicalisation de ses idées s’est installée progressivement. Il a d’abord commencé par s’intéresser « aux enjeux de santé liés à la consommation du lait et du sucre, développant une méfiance qui l’a mené vers les théories du complot » et de fil en aiguille s’est mis à avoir peur des vaccins et des chemtrails.

En 2017 la découverte des vidéos de la québécoise Guylaine Lanctôt a été déterminante dans son parcours. Ancien médecin, celle ci est connue pour ses positions anti big pharma et anti-vaccination. En 2009, elle s’est fait remarquer pour son opposition au vaccin H1N1 et elle avait été incarcérée en 2008 pour avoir refusé de payer ses impôts, un acte lié à la mouvance des citoyens souverains, une philosophie anti-gouvernement. Celle qui se fait appeler Ghis ou Diesse Ghis prétend, entre autres, que le VIH a été créé en laboratoire. Dans une vidéo datant de 2014, elle explique que « c’est la plus grande imposture du siècle, le plus grand crime contre l’humanité après les vaccins ».

En plein doute après le visionnage de ses vidéos, Bernard Lachance prend contact avec elle. Croyant que le VIH lui aurait été injecté par l’entremise d’un vaccin contre l’hépatite B, il se demandait s’il avait besoin de médicaments. Elle lui conseille son bestseller écrit 20 ans plus tôt, La Mafia Médicale, grâce auquel, il aura « toutes les informations en main » selon ses dires.

Il décide de cesser sa trithérapie et assiste à divers ateliers et conférences donnés par Guylaine Lanctôt, moyennant plusieurs centaines de dollars.

Une lente descente aux enfers

Guylaine Lanctôt est l’une des dernières personnes à lui avoir parlé. Le soir de son décès, l’homme au plus mal a passé 24 minutes au téléphone avec elle. Elle lui a envoyé une infirmière, qui lui a administré un soluté par voie intraveineuse, pour améliorer son état. Brigitte Noël et Emmanuel Marchand, les journalistes de Radio canada qui ont enquêté sur les circonstances de son décès ont découvert que cette femme n’était pas infirmière.

Au centre de la dérive médicale de Bernard Lachance, Guylaine Lanctôt l’a amené à rencontrer les autres protagonistes de cette triste histoire.

C’est lors des ateliers avec Ghis qu’il se serait lié d’amitié avec Hugues Holleville, un ancien médecin français qui s’est volontairement radié du Conseil de l’ordre en 2019, qui lui offrait des conseils de santé. Onze jours avant son décès, il lui recommandait une consommation quotidienne de deux à trois plasma marin (eau salée), un protocole censé rétablir son système digestif. Hugues Holleville, qui promet sur son site « l’autonomie santé par l’approche vibratoire du vivant », prétend que le plasma marin permet « toutes les guérisons immunitaires, y compris les tumeurs ».

Convaincu par son réseau conspirationniste qu’il devait se détoxifier de sa trithérapie, Bernard Lachance a eu recours à différents régimes naturels et a dépensé des milliers de dollars en suppléments alimentaires. Dans ses dernières semaines de vie, il ne se nourrissait presque plus que de ces produits. Là encore c’est une proche de Guylaine Lanctôt qui entre en jeu : En effet, une grande partie de ces suppléments lui auraient été recommandés par Amélie Paul, une chanteuse-naturopathe- Youtubeuse-conspirationniste qui anime une série de vidéos avec Guylaine Lanctôt. Sous son influence il aurait acheté pour plusieurs milliers de dollars des produits de la marque Immunotec, une société de vente en réseau dont Amélie Paul est l’une des vendeuses.

Devenue proche de Bernard Lachance, Amélie Paul lui avait confié que « pendant la pandémie, elle a fait plus d’argent en quatre mois que son salaire total de l’année précédente, grâce aux dons obtenus sur des plateformes de sociofinancement et la Prestation canadienne de la relance économique ».

Tous ses nouveaux « amis » se sont défaussés après son décès

Après le décès de Bernard Lachance, Hugues Holleville se défend en expliquant qu’il ne lui a pas prodigué de soins, seulement des conseils relevant du bon sens. Pour lui, Bernard Lachance « n’aurait jamais consenti à une hospitalisation », quel que soit son avis

Quant à Amélie Paul, se plaignant d’être harcelée par des personnes l’accusant d’avoir tué Bernard Lachance, elle s’est brièvement retirée des réseaux sociaux. Refusant d’endosser toute responsabilité, elle avance : « ça faisait quatre ans qu’il ne les prenait plus [ses médicaments], et il était assez grand pour décider par lui-même ».

Dès le décès de l’ancien chanteur les réseaux complotistes ont insinué qu’il avait été assassiné par Big Pharma en raison de ses révélations sur le sida. Une thèse rapidement reprise par Guylaine Lanctôt dans une vidéo où elle apparaît aux côtés de Jean-Jacques Crèvecoeur, un conspirationniste qui s’est déjà « vanté d’avoir convaincu des hommes séropositifs de cesser leur trithérapie ». Lors de cet échange diffusé le 27 mai 2021, elle raconte l’avoir « vu évoluer dans cette décision de dire, d’exposer l’imposture du VIH. Au début il était tellement en colère…, je lui ai dit : “Tu ne peux pas faire ça comme ça, tu vas te faire tuer” ». « On va dire que c’est suspect, la manière dont il est mort » renchérit Jean-Jacques Crèvecoeur. « Oui oui », répond Guylaine Lanctôt, « il était en grande forme et en trois mois il a dégringolé à toute vitesse ».

Un entourage démuni face à l’obstination du chanteur

Ses proches ont bien essayé de le convaincre d’abandonner ses croyances et de reprendre son traitement mais rien n’y a fait, il avait confiance en ses thérapeutes.

Michel Martel, un médecin, ami de longue date de Bernard Lachance a essayé de le persuader d’aller à l’hôpital. Le médecin voyait bien qu’il avait atteint le stade terminal de la maladie, « mais Bernard ne jurait que par des traitements naturels, des poudres avec électrolytes… ». Il reproche à Guylaine Lanctôt, ancienne médecin, de ne pas avoir vu son état malgré sa formation.

Sa famille se désole de ne l’avoir vu demander de l’aide qu’à son réseau d’amis conspirationnistes et déplore qu’aucun ne l’ait envoyé à l’hôpital. Pour sa famille et ses amis il était difficile de le soutenir, ils avaient tous perdu le contact avec lui en raison de ses croyances devenues insoutenables.

Le docteur Réjean Thomas qui l’a suivi un temps, est catégorique : si Bernard Lachance n’avait pas stoppé son traitement, il serait encore en vie. Il ne comprend pas que les thérapeutes qui l’ont entouré aient continué de le purger et de lui faire boire de l’eau salée alors qu’il dépérissait sous leurs yeux.

Sa famille en est certaine, « Bernard s’est fait manipuler. Il a voulu répandre la bonne nouvelle, il voulait sauver les gays du gros complot VIH-sida ». Mais « ce sont plutôt ses croyances conspirationnistes qui auront eu raison de lui, en le convainquant de cesser sa trithérapie, de boycotter l’hôpital et de faire confiance à des traitements alternatifs. »

Sollicité par les journalistes de Radio Canada, le Collège des médecins du Québec relève plusieurs infractions commises par les praticiens qui ont « conseillé » Bernard Lachance, comme l’exercice illégal de la médecine. Il « invite les patients à se méfier des traitements miracles et surtout à se questionner sur la formation et les compétences d’un individu avant d’avoir recours à ses traitements ».

(Source : Radio canada, 02.06.2021)

 

 

  • Auteur : Unadfi